Henri POUILLOT
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31 mai 2021, 60ème anniversaire Commissaire Gavoury
Article mis en ligne le 2 juin 2021
dernière modification le 14 juin 2021

par Henri POUILLOT
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60e anniversaire de l’assassinat de Roger Gavoury : Le premier fonctionnaire français tué par l’OAS

Article paru dans El Watan du 31 mai 2021

Immeuble 4, rue du docteur Trolard à Alger. Vue extérieure du studio n° 515 (côté impasse du docteur Trolard) occupé par une voisine de M. Roger Gavoury, commissaire central adjoint, locataire de l’appartement n° 513, après l’explosion, survenue le 14 avril 1961 [l’attentat, revendiqué par l’OAS, a été commis à l’aide d’une charge de plastic déposée devant la porte du logement faisant face à celui du commissaire Gavoury, dévastant les deux appartements].

Je vous le rappelle au nom du droit des morts à la parole et à la mémoire : l’OAS m’a tué !
C’était il y a soixante ans jour pour jour.
C’était surtout quarante jours après le putsch d’Alger : Alger, où j’avais la charge du maintien de l’ordre et de la sécurité publique.
Sur le moment, les autorités civiles, militaires et judiciaires ont fait les choses en grand :
– j’ai bénéficié d’une cérémonie d’obsèques solennelle en l’Ecole de police d’Hussein Dey ;
– on a déposé sur mon cercueil, outre la croix de la Valeur militaire avec étoile d’argent qui m’avait été attribuée à la date du 21 avril 1961 (!), la médaille de chevalier de la Légion d’honneur et la médaille d’honneur de la police, décernées ces dernières à titre posthume ;
– j’ai été cité à l’ordre de la nation ;
– on m’a promu contrôleur général de la Sûreté nationale ;
– une fois ma dépouille transférée en métropole, le ministre de l’Intérieur, Roger Frey, s’est rendu sur le lieu de ma sépulture et a assisté à mon inhumation ;
– les participants à mon assassinat ont été identifiés, recherchés, interpellés, traduits en justice et, pour trois d’entre eux, condamnés à mort et exécutés ;
– mon nom est inscrit sur une stèle présente depuis juin 2005 dans l’enceinte de l’institution qui forme les commissaires de police à Saint-Cyr-au-Mont-d’Or ;
– il est également gravé sur deux monuments aux morts, car mon acte de décès a été revêtu en novembre 1961 d’une mention marginale : « Mort pour la France ».
Nombre de mes collègues, de hauts fonctionnaires, de journalistes, d’historiens m’ont consacré quelques pages de leurs ouvrages, contribuant ainsi à l’entretien de mon souvenir, au détriment cependant de la considération due à tant d’autres policiers de tous grades et membres des forces de l’ordre abattus par l’OAS et soumis à la loi de l’oubli.
Le sort particulier qui m’a été réservé, je le dois à la date de mon assassinat davantage qu’à l’émotion suscitée par les circonstances dans lesquelles il a été commis.
J’ai en effet été la première victime causée par cette organisation dans les rangs de la fonction publique de l’Etat.
Mais que reste-t-il aujourd’hui de tout cela ?
Je laisse au plus jeune de mes fils, devenu orphelin de guerre à l’âge de onze ans, le soin de vous l’exposer, investi qu’il est depuis une quinzaine d’années dans la défense, contre vents mauvais et marées brunes, de la mémoire de l’ensemble des victimes de l’OAS.
Roger Gavoury

Il y a soixante ans, jour pour jour, deux des membres du « quarteron de généraux en retraite », Maurice Challe et André Zeller, étaient condamnés par le Haut Tribunal militaire à quinze ans de détention criminelle pour s’être rendus « coupables l’un et l’autre d’avoir, en avril 1961, et notamment les 21 avril et jours suivants, en tout cas depuis temps non prescrit, sciemment dirigé et organisé un mouvement insurrectionnel ».
Il y a soixante ans, jour pour jour, l’OAS assassinait à coups de poignard de parachutiste le commissaire central d’Alger, Roger Gavoury, faisant de mon père le premier fonctionnaire de l’Etat tué par cette organisation. Celle-ci s’était signalée quatre mois auparavant en poignardant dans le dos un avocat libéral algérois, Me Pierre Popie : c’était le 25 janvier 1961, quelques jours avant l’acte de naissance officiel de ce groupe armé qui ne tardera pas à s’ériger en authentique partie belligérante dans le cadre de ce conflit entre la France et sa colonie algérienne.
Dans les quarante-huit heures suivant la mort de mon père, Le Monde écrira : « Commissaire central à Casablanca et, après l’indépendance marocaine, principal conseiller français du gouvernement chérifien pour les questions concernant la police, M. Roger Gavoury avait pu attirer sur lui, au Maroc ou à Paris, la haine d’éléments extrémistes. »
En poste au Maroc d’août 1955 à février 1959, il aura connu, en effet, le changement de statut de ce pays et en aura techniquement assisté les responsables pour ce qui concerne l’organisation de la direction générale de la sûreté nationale (fondée le 16 mai 1956 et confiée à M. Mohammed Laghzaoui) ainsi et surtout que pour la mise en place de la relève des fonctionnaires de police français (3822 au 2 mars 1956) par des personnels marocains (1774 à la même date).
Mais il ne connaîtra pas l’indépendance de l’Algérie, alors même qu’en prenant ses fonctions de commissaire central le 23 mai 1961, il s’était adressé à ses collaborateurs en ces termes : « L’horizon commence à blanchir et bientôt, je l’espère, luira sur l’Algérie l’aube de la paix. Je voudrais, de toute mon âme, être le Central de la pacification, la vraie cette fois, celle des esprits. Je rêve d’une Alger où les hommes s’entr’aiment enfin, sans plus être séparés par des races, des religions ou des mers. »
Survivant à une blessure contractée lors d’une opération de maintien de l’ordre au Maroc grâce à l’un de ses collaborateurs secouriste, payant de sa personne en se portant constamment aux endroits où la violence des manifestations algéroises de décembre 1960 prenait la forme la plus dangereuse, afin de limiter les heurts entre les communautés, visé par un attentat au plastic commis dans son studio le 14 avril 1961, mon père se croyait protégé par le sort. Mais la baraka ne vaut pas assurance contre la mort.
Privé dès l’enfance du droit à la vie ou à la vue, privé d’un bras, d’une jambe ou du membre le plus proche de leur famille, tel a été le sort des victimes de la guerre d’Algérie. Respectueux de leur devoir filial de mémoire, les descendants de victimes civiles et militaires de l’OAS ont dû assister, impuissants, à l’absence de devoir de mémoire de l’Etat et se résoudre à se passer de la reconnaissance officielle par la Nation de leur souffrance si singulière.
C’est en vain que j’ai attendu, quatre longues semaines durant, l’annonce par le président de la République d’un geste à l’occasion du 60e anniversaire de l’assassinat de mon père : cf. infra le texte de la correspondance dont je l’ai rendu destinataire le 1er mai (extraits).
Pour l’honneur retrouvé de l’Etat face aux nostalgiques du putsch d’Alger.
Dans le cadre d’une cérémonie associative encadrée par des partisans du putsch des généraux et d’anciens jusqu’au-boutistes de l’Algérie française, Madame la ministre Geneviève Darrieussecq a déposé en votre nom, le vendredi 26 mars, une gerbe de fleurs devant le Mémorial national des
« Morts pour la France » en AFN, quai Branly à Paris.
Dans le prolongement immédiat de ce geste en leur direction, un ancien officier de gendarmerie ayant appartenu au « SO » du Front national et un général radié des cadres de l’armée à titre disciplinaire par décret du 23 août 2016 se sont attelés à la rédaction d’un pronunciamiento, puis à la recherche de soutiens y compris parmi les militaires d’active, et ils ont fait publier leur texte dans un hebdomadaire le jour même du 60e anniversaire du putsch d’Alger le 21 avril 1961.
Dans l’exercice de ses fonctions à la tête des services de maintien de l’ordre républicain dans le Grand Alger, mon père, Roger Gavoury, commissaire central adjoint puis commissaire central, a dirigé la lutte contre l’OAS, dont il a été la première victime dans les rangs de l’Etat, le 31 mai 1961 : il a été cité à l’ordre de la Nation et la mention « Mort pour la France » a été apposée sur son acte de décès. Trois des dix participants à son assassinat ont été condamnés à mort et exécutés.
Il me paraît y avoir lieu de lever toute ambiguïté sur le sens à donner à votre contribution à la commémoration de la manifestation algéroise du 26 mars 1962 intervenue sur appel de l’OAS à l’insurrection ; il importe également d’exprimer votre désapprobation à l’égard de ceux qui, aujourd’hui, déshonorent la République en rompant ce pacte de neutralité et de loyauté auquel ils sont légalement tenus.
C’est dans cette double perspective que je vous propose de bien vouloir vous recueillir avec moi, le 31 mai, devant la première stèle érigée par une collectivité publique « En hommage à toutes les victimes de l’oas en Algérie et en France, civils, militaires, élus, magistrats, fonctionnaires, défenseurs des institutions et des valeurs de la République » : Elle a été dévoilée le 6 octobre 2011, au cimetière du Père-Lachaise, par M. Bertrand Delanoë, alors maire de la capitale.
Rien n’est venu, alors même que sa présence en ce lieu et à cette date aurait pu consacrer sa conception conciliatrice des mémoires de la guerre d’Algérie en en élargissant le champ.
La proposition que je m’étais permis de lui soumettre ne tendait pas à obtenir un geste compensatoire ou de réparation de l’erreur ayant consisté à honorer le souvenir d’alliés objectifs de l’OAS sans s’être soucié au préalable des quelque 2700 victimes de cette partie belligérante dans le conflit entre la France et l’Algérie.
Il s’agissait, en effet, d’une demande positive, visant à ce que soit posé un acte ayant valeur de symbole d’un sursaut mémoriel au bénéfice des serviteurs loyaux des institutions de la République à l’époque où celle-ci vacillait.
Bien entendu, l’intervention entendait également montrer à Monsieur Emmanuel Macron l’état de vigilance et le niveau d’exigence des familles de victimes de l’OAS au regard du respect du principe de pluralité dans la gestion de la politique publique de mémoire concernant la guerre d’Algérie.
Que M. Benjamin Stora reçoive ici l’expression de ma vive gratitude, puisqu’il était disposé à prendre part à cet hommage aux côtés du chef de l’État et de représentants de deux associations de victimes.

Par Jean-François Gavoury , Sur procuration paternelle

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