Henri POUILLOT
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Lettre ouverte à M. Emmanuel Macron, président de la République française
Par Nacer Boudiaf

Article paru dans El Watan du 24 mai 2017

Article mis en ligne le 25 mai 2017

par Henri POUILLOT
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Excellence, Monsieur le Président

Je voudrais tout d’abord vous présenter mes sincères félicitations à la suite de votre brillante élection au prestigieux poste de président de la République française.

Je m’adresse à vous notamment pour saluer en votre victoire le symbole d’espoir qu’elle a suscité auprès des jeunes Algériennes et Algériens qui constatent qu’un homme de moins de 40 ans est à la tête d’un pays membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, puissance nucléaire, deuxième économie européenne.

Je m’adresse à vous également dans cette lettre ouverte qui, si elle est publiée, me réconfortera réellement dans mes pensées que la France est le « pays des lumières » et de la liberté d’expression. Mais si elle n’est pas publiée, en entier et telle que j’en assume toutes les portées, cela nous donnera à vous et à moi une idée plus précise sur le milieu politico-médiatique actuel en France, et notamment la complexité de la relation France/Algérie, qui a trop longtemps souffert du régime de « l’indépendance confisquée », telle que l’a qualifiée feu Ferhat Abbas.

Si vous avez été élu, c’est notamment grâce à l’espoir que vous avez si bien su animer au sein de la jeunesse et même chez les moins jeunes Français qui — enfin — ont dit non au système établi sur fond de confrontation de deux tendances, qui finalement se rejoignent quand il s’agit de « travailler » avec l’Algérie. Je vous écris aussi et surtout pour prendre l’histoire à témoin que vous serez le premier chef d’Etat français né après l’Indépendance (confisquée) en Algérie, et c’est là la principale raison qui m’a poussé à vous écrire une lettre ouverte, car mon père Mohamed Boudiaf ne cessait de répéter durant son exil depuis 1963, à cause de l’indépendance confisquée, que la relation avec la France ne connaîtrait une réelle embellie qu’avec le changement de génération de pouvoir dans les deux pays.

Afin de lancer un profond et substantif message à ce système établi que vous avez sérieusement mis à rude épreuve — avec le soutien de ceux qui ont voté pour vous et pour l’espoir tant espéré — il serait temps d’envisager une nouvelle vision dans la relation France/Algérie ; vision basée sur la transparence, l’égalité souveraine des deux Etats et le respect des intérêts mutuels, présents et à venir des deux parties.

Je vous suggère tout simplement une nouvelle vision car, et vous avez certainement eu à en prendre acte, durant vos précédents postes de responsabilité gouvernementale, que le système qui a prévalu en France, jusqu’à votre élection, et le système qui continue de prévaloir chez nous en Algérie, sont en fait deux systèmes qui ont travaillé depuis l’indépendance confisquée beaucoup plus sur la base de la protection des intérêts d’influence personnelle des hommes au pouvoir dans les deux pays que sur le principe d’établir une relation fondée sur le respect mutuel tout court et le respect des intérêts immédiats et futurs des deux parties en tant que Nations.

Le peuple algérien est parfaitement conscient des liens solides et profondément ancrés entre les systèmes établis dans les deux pays et ne s’étonne plus de voir et de constater que ni la Droite ni la Gauche au pouvoir n’ont pu établir une relation tant souhaitée par les deux peuples en raison, malheureusement, des réseaux parfois même douteux établis entre personnes et non réellement entre les institutions des deux pays. Par exemple, en ce qui me concerne — et cela est exprimé par des millions d’Algériens — qui comme moi sont absolument convaincus que l’assassinat de mon père, le 29 juin 1992, n’aurait jamais été possible si le système de relation établi entre « personnes » des deux pays n’avait cautionné l’ « acte isolé » contre mon père, tout juste quinze jours après sa déclaration quand il avait dit : « L’ennemi d’hier est l’ennemi d’aujourd’hui ».

Par ailleurs, le légendaire pardon affiché par les Algériens à l’égard de la France coloniale est un pardon qui ne signifiera jamais « oubli », mais pardon tout de même car le peuple algérien a toujours été en parfaite symbiose avec l’Islam pur et sain de nos parents et grands-parents.

Malheureusement, ce pardon affiché par le peuple algérien dès le 5 juillet 1962, premier jour de « l’indépendance confisquée », n’a que rarement trouvé en France compréhension et respect, en témoignent les mauvais traitements infligés aux Algériens qui — par exemple — il y a quelques années, étaient les seuls à se retrouver dans des hangars des aéroports subissant des traitements humiliants et provoquant l’ire de Mohamed Boudiaf qui, de son exil, se demandait où est le fruit de la lutte de sept ans de guerre et où va l’Algérie qui laisse son peuple se faire mal-traiter de la sorte ? Mais comme il faut envisager l’avenir et non se lamenter sur le passé, je vous prie d’accorder à la relation France/Algérie le même esprit et le même espoir qui vous ont animé pour renverser le système établi depuis des lustres chez vous afin d’envisager « une France en Marche ».

Vous n’êtes pas sans savoir que les 70% d’Algériens ne se reconnaissent plus dans le système de l’indépendance confisquée qui me bloque pour faire connaître aux Algériens la plateforme du Rassemblement Patriotique National, qui appelle à fonder une nouvelle Algérie, qui elle-même fondera une nouvelle relation avec la nouvelle France, dans une ambiance de respect mutuel afin d’envisager un avenir commun basé sur les intérêts bien compris des deux Nations et non les intérêts de « personnes », voire de systèmes qui ont montré leurs limites sur les deux rives de la Méditerranée.

Je conclus cette lettre en vous souhaitant plein succès dans l’accomplissement de vos hautes fonctions, non sans vous dire que votre élection est en fait un premier bourgeon du « printemps français ».

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