Henri POUILLOT
Guerre d’Algérie, Colonialisme...
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La torture pour demain en France ? Quelle horreur !!!
Article mis en ligne le 22 juin 2016
dernière modification le 26 juin 2016

par Henri POUILLOT
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Je viens de découvrir avec stupeur ce sondage relatif à la torture, en France, diffusé par l’ACAT :
- 36% des sondés acceptent le recours à la torture dans des circonstances exceptionnelles, contre 25% en 2000.
- 54% de Français acceptent qu’une personne suspectée d’avoir posé une bombe prête à exploser soit soumise à des décharges électriques.
- 45% des personnes interrogées considèrent que la torture est efficace pour prévenir des actes de terrorisme et obtenir des infos fiables.
- 18% des sondés (et 40% des sympathisants FN) déclarent qu’ils pourraient envisager de recourir eux-mêmes à la torture …..

Ces chiffres sont sidérants pour plusieurs raisons. Pour moi, ils sonnent encore bien davantage, puisque j’ai eu la triste expérience(*), lorsque j’étais appelé pendant la Guerre de libération de l’Algérie, d’avoir été affecté à la Villa Susini à Alger, de fin juin 1961 au 13 mars 1962, dans ce centre qui fonctionna pendant toute la période du conflit en centre de tortures (les autres centres Ecole Sarrouy, Villa des Roses,… n’ont fonctionné que quelques mois).

Tout d’abord, je dois dire que, pour moi, la pratique de la torture est sans doute l’un des crimes contre l’humanité parmi les plus odieux.

45% des personnes sondées semblent estimer que la torture serait efficace pour prévenir des actes de terrorisme. La démonstration a été faite dans de nombreux cas, tout particulièrement pendant la Guerre de Libération de l’Algérie, mais aussi en Indochine, en Irak plus récemment (Abou Ghraib, Guantanamo..). En Algérie, ce sont des centaines de milliers d’Algériens qui y ont été soumis. Ceux qui ont l’intention de commettre un attentat ont pris délibérément le risque de mourir, et il est rare qu’ils vont parler lors d’un tel interrogatoire, parce qu’ils savent que, généralement, ils seront exécutés, sans même de procès, et que leur meilleure chance de s’en sortir vivants est de pouvoir résister, sans rien dire. Ceux qui savent quelque chose et oseraient parler, risqueraient l’exécution en sortant du centre de torture. Mon expérience m’a démontré que ceux qui ont "parlé", ne savaient généralement rien, et ont dit n’importe quoi en espérant que le supplice arrête enfin. D’ailleurs, le Général Massu lui même, celui qui a institutionnalisé à très grande échelle la pratique de la torture en a reconnu, quelque temps avant sa mort, l’inefficacité, et déclaré qu’on aurait pu, dû, faire autrement.

54% des personnes sondées accepteraient qu’une personne suspectée d’avoir posé une bombe prête à exploser soit soumise à des décharges électriques, à la torture ??? C’est une énorme lâcheté. Qui suspecterait le voisin ? Et si le voisin vous dénonçait comme suspect ? Il serait "normal", "acceptable" que vous soyez torturé ? Je suis prêt à parier, très cher, que cette majorité de Français estime donc que si son voisin doit être torturé, tant pis pour lui, moi je suis tranquille, à l’abri. Sur les milliers d’Algériens que j’ai vu défiler à la Villa Susini, arrêtés parce que considérés comme éventuellement "suspects", 99,9% étaient totalement innocents : ils avaient eu la malchance de se trouver au mauvais moment, au mauvais endroit.

Que 40% des personnes sondées, sympathisantes du FN déclarent qu’ils pourraient envisager de recourir eux-mêmes à la torture, c’est horrifiant !!! C’est l’héritage de Jean-Marie Le Pen. Il faut se souvenir qu’en 1956, jeune député poujadiste il démissionna de son mandat pour aller "casser du bougnoule" selon son expression d’alors. Il reprit alors son uniforme de Lieutenant parachutiste et fut le responsable de la Villa Susini, où selon la légende, il fit disparaitre des corps de torturés dans des cuves d’acide. Au procès qu’il intenta au monde en 2002 (quand il s’est retrouvé au second tour de l’élection présidentielle) il affirma être très fier que la remise que de ses décorations pour ses exploits en Algérie soit faite dans les jardins de cette Villa Susini. Tout un symbole !!!

Aujourd’hui, contrairement aux années 1950/60, les moyens techniques qui existent permettent de mener des enquêtes autrement performantes en délais et efficacité. La surveillance des réseaux sociaux, des réseaux téléphoniques, quasi impossible autrefois, apporte immédiatement des informations que la pratique de la torture ne permettra jamais. La torture n’a qu’un "avantage" : c’est l’humiliation du torturé, et son rejet probable vers la cause pour laquelle il est suspecté être favorable.

En dehors de ces chiffres, le résultat de ce sondage est une démonstration des effets catastrophiques des manipulations de l’opinion publique voulue par une partie de la classe politique, amplifiée par certains médias.

Après les attentats de janvier et novembre 2015, la réponse voulue par le pouvoir en place fut l’état d’urgence et la déchéance de nationalité, sans qu’une réflexion soit menée pour analyser les causes de ces catastrophes. Ce ne sont pas que des jeunes dont leurs parents furent des indigènes des anciennes colonies, de culture musulmane. Pour certains qui se sont convertis à cet extrémisme religieux, pour certains, leurs parents ont des origines provinciales très anciennes et certains même sont des pratiquants catholiques, de classe sociale moyenne. Alors ? Pourquoi se trouvent-ils donc si désespérés, sans avenir, avec le besoin de trouver un refuge de caractère sectaire ? Pour tarir cette source de radicalisation, tant que cette question n’est pas posée et que des remèdes ne sont pas mis en place, la filière conservera de beaux jours.

L’état d’urgence n’a aucune efficacité sérieuse pour la sécurité : ce ne sont pas les patrouilles de militaires ou policiers qui vont dissuader le terroriste de préparer son attentat, il va surveiller et étudier quand, comment, il va pouvoir le commettre. Par contre les mesures "justifiées" par le gouvernement comme les assignations à résidence, les interdictions à manifester sont autant d’atteintes aux libertés individuelles et collectives inacceptables. Cette poudre aux yeux est une terrible illusion

Le dernier crime commis le 13 juin 2016à Magnanville contre les 2 policiers, est horrible, et bien évidemment condamnable, mais l’instrumentalisation qui en est faite est également dangereuse. Un tel acte génère bien naturellement une immense émotion, comme après les attentats qui ont endeuillé tant de familles, mais la publicité qui est faite légitime pour une bonne part, ces actes odieux : ceux qui ont décidé de les commettre deviennent des "héros". Ils ont atteint leur but essentiel, macabre : générer une nouvelle vague de peurs dans la population.

Avec la question de la loi El Khomri, et sa contestation, on assiste à une instrumentalisation de la violence engendrée autour des manifestations. On peut s’interroger sur la facilité selon laquelle les casseurs peuvent agir. Face à la violence sociale du Pouvoir politique de vouloir casser les acquis du Front populaire, du Programme du CNR (Conseil National de la Résistance), mai 1968,… ce gouvernement multiplie les provocations. Alors qu’une très grande majorité de Français s’opposent à cette casse, sa détermination à refuser le respect de la démocratie est génératrice de violence. Les propos des ministres (dont le premier) tentant de rendre responsables les organisations syndicales et tout particulièrement la CGT est un amalgame inacceptable. On peut s’interroger : à qui rendent service les casseurs ? N’est ce pas à tenter de mettre en cause la poursuite de ces manifestations ? Ce prétexte voudrait justifier l’interdiction de manifester. Depuis des semaines, une majorité de médias reprennent en boucle la thèse de la violence générée par le mouvement de contestation de la loi dont la majorité de Français ne veulent pas, et "oublient" d’évoquer la violence sociale générée par cette démarche.

Ce climat donc très lourd, avec une instrumentalisation de la violence ne peut donc que générer une inquiétude "légitime" et une opinion publique soucieuse attendant un retour au calme, une répression contre un ennemi quasi invisible, difficile à cerner. Alors comme la torture a été souvent utilisée sous prétexte de juguler les actes de terrorisme, comment s’étonner que cette pratique ne soit pas attendue comme remède de la situation actuelle ? Et ce, d’autant plus que la France n’a toujours pas reconnu et condamné cette pratique utilisée en son nom comme institution !!! Cette tentation est d’autant plus "naturelle" que, malgré les mesures qui devaient garantir la sécurité absolue, des attentats continuent et continueront d’autant plus, tant que les causes ne seront pas prises en compte.

Déjà en 2005, les militaires français, dans la revue "Le Casoar" avaient tenté, en voulant copier les américains, de réclamer un cadre juridique à l’utilisation de la torture. Les plus hautes autorités de l’Etat, évoquant souvent que notre pays est celui des droits de l’homme, devraient réfléchir avant de mettre en cause les libertés individuelles et collectives, respecter les plus élémentaires règles de la démocratie et œuvrer pour un vivre ensemble harmonieux en évitant les causes de violence à l’origine de dérives racistes.

Il serait temps que François Hollande complète son communiqué de juin 2014 relatif à la disparition de Maurice Audin. Certes il a reconnu officiellement que le jeune mathématicien, torturé, ne s’était pas évadé mais était mort en détention, et cela en fonction de témoignages et documents concordants. Comment est-il mort, à 25 ans, en détention ? Qu’est devenu son corps ? Quand connaîtrons-nous ces éléments ?

Assez d’un gouvernement qui se dit de gauche, mais qui pratique une politique trop souvent inspirée de concepts de droite, voire de la droite extrême, et bafoue les principes même de notre république "Liberté, Egalité, Fraternité". Jamais sous la 5ème République, depuis (1958), donc près de 60 ans, on a assisté à de telles attaques de la démocratie. Si les manifestations syndicales des 23 et 28 juin étaient interdites, il faudrait donc remonter au régime de Vichy pour retrouver une telle démarche.

(*) Voir mon livre témoignage : "La Villa Susini" "Torture en Algérie, Un appelé parle" publié aux Éditions Tirésias qui analyse l’expérience vécue de fin juin 1961 à mars 1962 dans le centre de torture de la Villa Susini d’Alger

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