Un article de l’APS du 6 juin 2015 qui rappelle ce triste attentat du 7 juin 1962
L’incendie de la Bibliothèque Universitaire (BU) d’Alger le 7 juillet 1962 par l’organisation de l’armée secrète (OAS) est ’’un crime contre l’humanité", a affirmé le conservateur de la BU Abdallah Abdi.
M. Abdi a précisé dans un entretien à l’APS que la ’’BU était l’une des bibliothèques les plus anciennes et les plus riches dans le monde arabe et en Afrique", comptant prés de 600 000 ouvrages scientifiques et des manuscrits inédits en arabe et en latin.
80.000 ouvrages seulement ont été sauvés lors de cet incendie qui a détruit la bâtisse de la BU, a-t-il dit, ajoutant que le sauvetage d’ouvrages restés intacts était un acte de résistance contre la colonisation française.
M. Abdi a en outre précisé que les livres récupérés ont été transférés au lycée Okba d’Alger jusqu’à la reconstitution de la BU, ajoutant que le transfert a duré sept mois.
"Tous les manuscrits avaient été transférés en France quelque mois avant l’incendie, qui a ravagé la BU’’, a-t-il indiqué, citant un article du journal "le Monde" du 26 avril 1962, qui a fait état de la sortie de conteneurs de la bibliothèque universitaire d’Alger.
’’Après l’incendie, aucun manuscrit intact ou altéré, n’a été retrouvé’’, a-t-il dit reprenant des propos du Pr. Mahmoud M. Bouayad, ancien directeur de la Bibliothèque nationale et également président du comité international de reconstitution de la BU, qui affirmait que "tous les manuscrits de la BU avaient été transférés avec certaines archives en France".
Acte prémédité
’’Il est clair que l’incendie qui a ravagé la BU était prémédité", l’édifice ayant déjà été la cible en avril 1962 de deux autres attentats qui ont détruit des bâtisses de l’administration de l’université d’Alger, estime encore le Conservateur de la BU.
Fermée à cette période en raison de la situation sécuritaire, la BU était donc à la ’’merci’’ des membres de l’organisation terroriste de l’OAS qui pouvaient alors s’infiltrer dans l’enceinte du bâtiment avec la complicité de certains français qui y travaillaient.
Ces attentats, selon lui, étaient attribués à un groupuscule de partisans de ’’l’Algérie française’’, qui réagissaient à l"annonce du cessez-le-feu, le 19 mars 1962.
Après l’incendie, un comité international de reconstitution de la BU dirigé par des universitaires, à leur tête Mahmoud Bouayad, a été crée. La BU rouvrira ses portes six années plus tard, le 12 avril 1968.
Pour M. Abdi, l’attentat terroriste contre la bibliothèque universitaire d’Alger visait à priver l’Algérie indépendante de ce creuset scientifique et culturel.
’’L’acte criminel dont elle a été la cible était, a t-il dit, un prolongement logique de l’occupation française, qui a oeuvré depuis l’occupation de l’Algérie en 1830 à l’effacement de l’identité algérienne dans sa triple dimension arabe, islamique et amazighe’’.
L’université d’Alger, qui est l"une des universités les plus anciennes d’Afrique et la deuxième université de l"empire français", a été créée en 1909 (loi du 30 décembre) après une série de démarches, la première étant la loi du 20 décembre 1879, qui prévoyait la création de quatre écoles spécialisées (Médecine et Pharmacie, Sciences, Lettres et Sciences humaines et Droit).
L’étrange oubli de l’Unesco
En 1995, l’Unesco avait répertorié tous les livres détruits à travers le monde, excluant les précieux ouvrages de la BU.
Et, dans les années 1990, la même organisation onusienne avait fait une liste des bibliothèques des livres de valeur, qui avaient été détruits à travers l’histoire, y compris pendant la période coloniale. L’incendie de la BU d’Alger par l’OAS ne figure pas dans ce répertoire mondial des bibliothèques détruites, sous quelque nature que ce soit, a déploré M. Abdi.
Il a souligné à ce propos qu’après la reconstitution de la BU, certains livres altérés n’ont pu être restaurés faute de compétences qualifiées pour effectuer ce travail de précision.
Pour reconstituer ce que ’’le vandalisme’’ avait détruit, selon les propos de M. Ahmed Taleb Ibrahimi, alors ministre de l’éducation nationale, un Comité International pour la Reconstitution de la Bibliothèque Universitaire d’Alger (CIRBUA) a été crée en décembre 1962.
Le Bureau du CIRBUA, installé au siège de la BU, a été installé le mercredi 19 décembre 1962 à 18 heures. Il avait comme président M. Bouayad Mahmoud, administrateur de la Bibliothèque Nationale, Noureddine Skander comme Vice-Président, et, comme Secrétaire général l’écrivain Jean Senac.
Pour autant, la restauration des ouvrages touchés par cet incendie, il y a maintenant 53 ans, se poursuit toujours, alors que le travail de restauration et de reliure nécessite la maîtrise de certaines techniques "qui ne sont pas enseignées en Algérie", explique le conservateur de la BU d’Alger.
ALGER- Le 7 juin 1962, trois bombes au phosphore, placées par les terroristes de l’OAS dans le bâtiment abritant la bibliothèque de la faculté d’Alger, explosent, et détruisent un fonds documentaire d’un demi-million d’ouvrages. Le ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique Hadjar Tahar revient sur cet ’’attentat’’.
Question : Monsieur le ministre, la communauté universitaire, scientifique et en général les Algériens commémorent le 7 juin un triste anniversaire : la destruction par l’OAS du fonds documentaire et livresque, dont des incunables, dans l’incendie de la Bibliothèque universitaire de la Fac d’Alger, la ‘‘BU’’ pour les initiés. Que vous inspire ce crime contre la science, la culture, l’avenir de la jeunesse algérienne ?
Réponse : L’incendie de la bibliothèque universitaire de la faculté d’Alger commis en plein jour par l’organisation de l’armée secrète française (OAS), le 7 juin 1962, à la veille de l’indépendance nationale, est venu à bout de 400.000 livres et manuscrits sur les 600.000 qu’elle englobait. La bibliothèque, les laboratoires des sciences et deux amphithéâtres ont été saccagés. Le reste des documents, quelque 200.000 livres qui ont pu être sauvés, á ont été transférés au Lycée Okba d’Alger. Ils ont été récupérés par la ‘‘BU’’ deux années plus tard. Cet acte abominable qui visait à réduire à néant une richesse culturelle et scientifique inestimable, n’avait pour dessein que de priver les futures générations algériennes post indépendance d’accéder à la connaissance et au savoir.
En réalité, cet incendie s’inscrivait dans la logique des incendies des bibliothèques connus dans l’Histoire de l’Humanité, à l’image de ceux de Rome, de Baghdad, d’Alexandrie et de Sarajevo. La commémoration de cet acte criminel intervient, aujourd’hui, dans un contexte marqué par un développement spectaculaire de l’Université algérienne qui abrite plus de 1.300.000 étudiants.
L’Algérie dispose de 96 établissements universitaires dotés de moyens didactiques modernes, répartis à travers son vaste territoire. On est bien loin de l’université d’Alger qui abritait 5.000 étudiants dont seulement 700 étaient algériens, parce que par essence l’Université de l’époque reposait sur une vision coloniale qui consistait à offrir un enseignement aux seuls fils de colons qui contribuaient à peupler l’Algérie. Les quelques Algériens qui avaient la chance de fréquenter l’université coloniale devaient servir de cadres intermédiaires pour l’administration française, sans plus.
Question : Pour beaucoup, c’est un acte de guerre contre les algériens, un acte qui confirme que la colonisation n’a jamais voulu que les algériens aillent à l’école, accèdent au savoir. Qu’est-ce qui a été fait dans les jours qui ont suivi ce crime pour sauver le patrimoine livresque de la BU, et effacer rapidement les effets de ce ‘‘mémoricide’’ ?
Réponse : Effectivement, cet acte abominable, perpétré à la veille de l’indépendance nationale, renseigne de manière éclatante sur les véritables intentions et les motivations réelles du colonialisme français en Algérie. Ce n’était nullement un acte isolé, comme on voulait le faire croire à l’époque.
Il découlait en droite ligne de l’idéologie matricielle de la colonisation en Algérie. C’est un acte prémédité, préparé pour empêcher l’Algérie qui s’apprêtait à fêter son indépendance le 5 juillet 1962, de se prendre en charge et se hisser au rang des nations modernes. D’ailleurs, cet acte barbare obéissait à la même logique des incendies de grandes bibliothèques connus dans l’Histoire de l’Humanité et constitue une preuve supplémentaire que la mission première du colonialisme en Algérie était la destruction d’une nation et l’anéantissement de ses ressources intellectuelles et scientifiques et ses repères, afin de lui barrer la route du progrès et de l’épanouissement. D’où la contradiction manifeste entre la ‘‘mission civilisatrice’’ déclarée pompeusement par le colonialisme et sa mission réelle de réduire un peuple à l’ignorance et à l’aridité culturelle.
Pour preuve, les crimes culturels commis, de 1830 à 1962, dans le sillon d’une guerre d’extermination rare, obéissaient à une même logique qui consistait à pousser l’algérien à la déchéance intellectuelle et par conséquent, l’anéantissement de la personnalité algérienne. Concrètement, cette politique s’exprimait à travers l’interdiction de l’enseignement de la langue arabe et la fermeture des écoles coraniques et des Medersas, que soutenait la dévastation des manuscrits lors des razzias. En tout cas, l’incendie de la BU restera gravé dans la mémoire du peuple algérien comme un acte barbare, dont l’unique mobile est d’assassiner le savoir et la connaissance et par conséquent, mutiler intellectuellement tout un peuple.
Question : Monsieur le ministre, des universitaires appellent à la sauvegarde du patrimoine architectural, scientifique et muséal de la Faculté centrale d’Alger. Quelles sont les actions urgentes à déployer, selon vous, pour faire de la Fac d’Alger, avec ses anciens départements des sciences de la terre, de Médecine, ses amphithéâtres (Matiben, Benbatouche,) un Musée de l’université algérienne ?
Réponse : La sauvegarde du patrimoine matériel du secteur fait partie des axes prioritaires du programme d’investissement du secteur. A ce titre, plusieurs opérations de mise à niveau sont effectuées ou programmées pour préserver les anciennes infrastructures et sauvegarder le patrimoine historique, architectural et scientifique qu’elles représentent. Dans ce cadre, les infrastructures de l’ancien campus de l’université Benyoucef BENKHEDDA - Alger 1, communément appelé ‘‘faculté centrale d’Alger’’ ont bénéficié d’actions de réhabilitation ayant porté, notamment sur la réfection de l’étanchéité des terrasses de l’ensemble des blocs, la mise à niveau de 14 laboratoires de pharmacie et de médecine, la réhabilitation de 7 amphithéâtres dont MATIBEN et AMPERE, la réfection des toitures en tuile en utilisant les nouvelles techniques en la matière (notamment la pose de membranes d’étanchéité au niveau des greniers). En plus de la réhabilitation du laboratoire d’anatomie et ses annexes, y compris le musée d’anatomie, véritable patrimoine scientifique. Aussi, d’autres blocs sont actuellement en phase d’expertise en vue du lancement des travaux de mise à niveau et de confortement nécessaires. Il s’agit notamment de tous les amphithéâtres (dont Benbaatouche et Ben Badis), du bloc de géologie comprenant des laboratoires, des salles pédagogiques et des unités de recherche, mais aussi du réputé musée de géologie. Le réseau d’alimentation en énergie électrique du campus sera également rénové. Il reste à signaler que la rentrée 2015-2016, verra la réouverture de la faculté des sciences qui sera domiciliée à la ’’fac centrale’’ et débutera avec certaines spécialités comme l’architecture, mathématiques informatiques, sciences de la nature et de la vie et sciences de la matière.
Un pas de plus de cette politique de la terre brûlée pratiquée par l’OAS même après le cessez-le-feu