Henri POUILLOT
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Patrick Buisson : l’égérie de Nicolas Sarkozy
Un article de Alain Ruscio

L’ historien Alain Ruscio présente cet homme de l’ombre qui se prétend historien : ci-dessous l’extrait de "Y a bon les colonies ?" consacré à Patrick Buisson.

Article mis en ligne le 29 avril 2012
dernière modification le 30 avril 2012

par Henri POUILLOT
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La déclaration de Nicolas Sarkozy le 24 avril 2012 à Longjumeau, selon laquelle Marine Le Pen serait « compatible avec la République », constitue une validation par le chef de l’Etat des thèses racistes du Front national.

C’est l’aboutissement de la stratégie défendue par son conseiller spécial, Patrick Buisson, que Jean-Philippe Moinet présente ainsi : « pour réduire l’extrême droite, il ne faut pas la combattre mais puiser dans son discours et son idéologie. [1] »

Le parcours de Patrick Buisson est connu : venu des rangs de l’extrême droite lepéniste, ce thuriféraire de l’Algérie française est à l’origine du choix de l’immigration comme argument central du discours politique. La promotion de l’“identité nationale”, la politique de réhabilitation du fait colonial jusque dans son expression la plus inacceptable, la stigmatisation permanente des musulmans, sont la mise en application des obsessions de ce conseiller.

Patrick BUISSON, par Alain Ruscio [2]

Patrick Buisson a eu très tôt de solides convictions. En mars 1962 – il a treize ans –, il refuse de se lever, lors d’une minute de silence en hommage à six inspecteurs [3] des Centres sociaux éducatifs assassinés par l’OAS [4]. Nul, certes, ne peut être jugé sur un geste bête de défi, fait à l’aube de la vie. Le problème est que, sollicité à maintes reprises de condamner cet épisode, l’intéressé ne l’a jamais fait [5].

Dans son âge mûr, il a continué à fréquenter les milieux de la droite la plus extrême, dont il est même devenu une figure : rédaction en chef de Minute de 1981 à 1987, au pire moment de l’affrontement avec la gauche au pouvoir et, simultanément, de la montée du lepénisme. L’historien-politologue a également signé, avec Pascal Gauchon, ex-rédacteur en chef de Défense de l’Occident, un récit sur l’OAS, sous-titré significativement Histoire de la Résistance française en Algérie [6], préfacé par Pierre Sergent, puis deux biographies : Le Pen [7] et de Villiers [8]. On a les héros que l’on peut.

Jugeant probablement la proximité du pouvoir plus efficace pour faire passer ses idées, il devient progressivement un intime de Nicolas Sarkozy.

Durant la campagne présidentielle de 2007, il a été à l’origine de l’adoption de l’identité nationale comme thème prioritaire.

Nous sommes le jeudi 8 mars 2007, place Beauvau. L’entourage du candidat UMP est dubitatif. Sa rivale directe, Ségolène Royal, remonte dans les sondages. Patrick Buisson reproche à Sarkozy de « se notabiliser » ; le candidat ne doit pas hésiter à aller sur le terrain du lepénisme afin d’y conquérir les couches populaires les plus fragilisées par la crise. Il faut droitiser la campagne, Buisson n’hésite pas à le dire à Sarko :

« Tu as percé parce que tu incarnes une transgression par rapport aux tabous de la politique traditionnelle. Il faut, sans tarder, envoyer un signal fort à toutes les couches nouvelles qui ont déjà basculé dans ton camp ou qui sont prêtes à le faire. Or, le tabou des tabous, c’est l’immigration. La transgression majeure, elle est là. Pas ailleurs. Il faut en remettre un coup sur le thème de l’identité nationale [9] ».

Nicolas Sarkozy n’est certes pas un monstre d’intellectualité. Mais il a une qualité majeure, pour un politique : la réactivité. Car c’est le soir même, sur la chaîne France 2, dans l’émission A vous de juger, qu’il rend publique sa décision de fonder ce Ministère nouveau.

Buisson sera bien remercié. Bien que non pourvu de poste officiel, il reste un des conseillers les plus écoutés du Président. Il est décoré par ce même Président de la Légion d’Honneur le 24 septembre 2007. Sarkozy dit de lui ce jour-là : « Il y a très peu de personnes dont je puisse dire : “si je suis là, c’est grâce à eux“. Patrick Buisson est de ceux-là [10] » .

Comme l’homme, incontestablement cultivé, a gardé intacte sa passion pour l’Histoire – en tout cas pour une certaine interprétation des événements –, et comme l’Elysée ne peut désormais rien lui refuser, il est nommé, en octobre, directeur de la chaîne Histoire, détenue à 100 % par le groupe TF 1 [11].

Il trouve également le temps d’écrire. Il publie en 2009 deux livres, La guerre d’Indochine [12], puis La guerre d’Algérie [13] , ce dernier durement critiqué par de nombreux spécialistes [14], ce qui n’empêcha pas Hubert Falco, alors secrétaire d’Etat aux anciens combattants, d’introniser Buisson historien officiel des conflits de décolonisation.

Historien, cet homme ? Mais alors d’une école particulière – l’école buissonnière… pardon – qui a comme principe de base de ne jamais se référer aux faits. Original…

Commençons par l’Indochine. Buisson assène ses vérités :

« Que la France ait été, sans le chercher, la grande forge pour faire naître l’esprit national partout où elle est intervenue, qui le contesterait ? L’Indochine n’a pas échappé à la règle. Les trois Ky (Tonkin, Annam, Cochinchine) n’auront été unis, sous le sceptre d’une tardive lignée d’empereurs originaires du sud, qu’à partir de l’arrivée des Français, salués sans barguigner comme les libérateurs de la tutelle chinoise ».

Seule une lecture mal digérée des auteurs les plus médiocres de l’ère coloniale a pu amener Buisson à écrire en si peu de lignes autant de fichaises. Qui contesterait, demande-t-il, que la France a fait naître l’esprit national en Indochine ? Répondons-lui : des Etats constitués, structurés, correspondant à un esprit national ancré, existaient au Cambodge et au Vietnam plusieurs siècles avant que les Français mettent les pieds dans la région. Qui contesterait que les trois Ky ont été unis seulement sous notre domination ? La vérité est l’exacte inversion : ce sont les Français qui ont continûment nié l’unité du Vietnam, coupant artificiellement le pays en trois – jusques et y compris en 1945-1946, provoquant la guerre. Qui contesterait Buisson ? Mais tous les vrais historiens de la région.

Quand l’auteur se risque dans l’événementiel de la guerre elle-même, on n’est pas mieux servi :

« Quand la France fut écrasée par la Wehrmacht, ce fut la stupeur. Pour la mentalité populaire, en triomphant des empereurs d’Annam, la France leur avait ravi le “mandat du ciel“, le droit moral de gouverner ; en s’effondrant, elle perdait à son tour ce mandat. La guerre d’Indochine est née de cela ».

Le mouvement national vietnamien ? La résistance acharnée, au XIX è siècle, de toutes les couches de la population, monarques et mandarins compris, à la conquête ? L’émergence du nationalisme moderne, puis du communisme national, symbolisé par Ho Chi Minh ? L’acharnement de la Sûreté française à envoyer au bagne de Poulo Condor des milliers de patriotes, à guillotiner, à réprimer ? Détails, sans doute, comme disait un ancien ami de Buisson.

Lorsqu’il évoque, pourtant, enfin, les Vietnamiens, il n’a qu’un mot sous la plume : les Viets, c’est-à-dire précisément le terme méprisant et finalement raciste qu’utilisaient les baroudeurs du temps de la guerre d’Indochine. Imagine-t-on un instant un historien – a fortiori patron de la chaîne Histoire – utiliser aujourd’hui le mot Boches dans un ouvrage sur le Seconde guerre mondiale ? Pourquoi ce qui est (heureusement) impensable avec nos voisins allemands devient-il possible avec les Vietnamiens ? Parce qu’ils sont jaunes ? rouges ? les deux ?

Sur les circonstances concrètes du déclenchement de la guerre, Buisson reprend la rengaine, depuis longtemps mise en pièces par tous les historiens sérieux [15] , de la provocation vietnamienne. Sous-entendu : que pouvaient faire les militaires français sur place, sinon riposter à cette fourberie bien asiatique ?

« En novembre 1946, les Viets provoquèrent les incidents de Haiphong et de Lang Son ».

Au passage, Buisson oublie de signaler que plusieurs milliers [16] de civils vietnamiens furent tués à Haiphong.

Pour la période de la guerre elle-même, l’armée française, sur place, est systématiquement présentée comme protectrice des populations :

« Sur le terrain, après le combat, le souci premier du corps expéditionnaire était le sort des populations ».

Souci premier, l’expression est jolie. Elle aura pourtant quelque mal à faire oublier à ces mêmes populations les morts grillés au napalm, les corvées de bois (qui ont eu cours en Indochine avant d’être généralisées en Algérie) et les torturés de Poulo Condor…

Ce qui n’empêche pas Buisson d’ajouter :

« Malgré la présence des Viets dans la région et des communistes de l’autre côté de la frontière [17], une nombreuse population civile est restée avec les Français. Elle se livre à toutes sortes de commerce ».

Autre légende de photo (qui représente des instructeurs français auprès de jeunes soldats de l’armée Bao Dai) :

« Le corps expéditionnaire se pose en grand frère des armées nationales auxquelles on fixe comme but ultime de promouvoir la liberté et la dignité des peuples indochinois ».

Armées nationales ? Traduire Armée Bao Dai, enfant mort-né d’une politique à courte vue… On, qui on ? Mais l’armée française éprise de liberté et de dignité, c’est bien connu, en particulier lors des guerres coloniales.

Sur l’Algérie, tout est dit dès les premières pages. Le lecteur un peu âgé sera rajeuni à cette lecture, retrouvant les accents majoritaires du monde politique et de la presse en métropole en novembre 1954 :

« L’Algérie n’était pas une colonie, mais la France prolongée jusqu’au Sahara ».

C’est beau comme du Mitterrand 1954, du Soustelle 1956 ou du De Gaulle 1958.

Un spécialiste reconnu – hélas, mais évidemment moins médiatisé – de l’Algérie, Gilbert Meynier, s’est chargé de lire ligne à ligne, d’observer photo par photo, cet ouvrage. Ses conclusions sont éreintantes : « L’histoire s’écrit en confrontant des documents d’origine différente. Que dirait-on d’un livre sur la guerre de 1954-1962 qui serait illustré uniquement avec les photos du FLN ? Qu’il s’agirait d’apologie, non d’histoire. Avec cet album, on est dans le franco-français, pas dans le franco-algérien : il y a bien peu d’Algériens, ni dans les images ni dans les légendes ni dans les quelques textes de l’ouvrage. En comptant les clichés où se devine une ombre d’Arabo-Berbère, on a, sur plus de 400 photographies, 85 images d’ « autochtones » ; et, si l’on retire les supplétifs / harki(s), ou les jeunes filles et les gamins filmés en classe, on tombe à 40 : un sur dix, tous ralliés à la France, sauf quelques rares irréductibles mis au ban de l’image. La moindre honnêteté aurait voulu que le titre annonce la couleur : “La guerre vue par le service photographique des armées“. [18] »

Alain Ruscio

Notes

[1] « L’UMP est la première victime de la stratégie imaginée par Patrick Buisson » par Jean-Philippe Moinet, ancien président de l’Observatoire de l’extrémisme, fondateur de la "Revue civique", publié dans Le Monde du 27 avril 2012.

[2] Extrait de : Alain Ruscio, Y’a bon les colonies ? La France sarkozyste face à l’histoire coloniale, à l’identité nationale et à l’immigration, Paris, Éd. Le Temps des Cerises, 2011.

[3] Marcel Basset, Robert Eymard, Mouloud Feraoun, Ali Hammoutène, Max Marchand et Salah Ould-Aoudia.

[4]Carole Barjon, Le Nouvel Observateur, 20 novembre 2008.

[5] Voir la lettreque lui a adressée (à trois reprises) Jean-Philippe Ould-Aoudia, fils d’un des victimes, à laquelle il n’a jamais été donné de réponse : un conseiller de l’Elysée, adolescent, refusait de rendre hommage aux victimes de l’OAS.

[6] Paris, Ed. Jeune pied Noir, 1984.

[7] Album Le Pen, Paris, Ed. Intervalles, 1984.

[8] Philippe de Villiers ou la politique autrement (en collaboration avec Eric Branca), Paris, Ed. du Rocher, 1993.

[9] Cité par Eric Branca & Arnold Folch, Histoire secrète de la Droite, Paris, Ed. Plon, 2008.

[10] Thierry Leclère, Télérama, 10 novembre 2009.

[11] Raphaëlle Bacqué, Le Monde, 2 octobre 2008.

[12] Paris, Albin Michel, 2009.

[13] Id

[14] Deux universitaires, parmi les meilleurs spécialistes de l’histoire de l’Algérie, Mohammed Harbi et Gilbert Meynier, rejoints par cinq de leurs collègues, Omar Carlier, Michel Cornaton, Jean-Charles Jauffret, André Nouschi et Pierre Sorlin, ont très sévèrement critiqué ce travail (Site Internet Le Monde.fr, 22 décembre 2009). Nous avons emprunté bien des arguments à cette étude.

[15] Philippe Devillers, Paris-Saigon-Hanoi. Les archives de la guerre, 1944-1947, Paris, Gallimard / Julliard, Coll. Archives, 1988 ; Stein Tonnesson, 1946 : déclenchement de la guerre d’Indochine. Les vêpres tonkinoises du 19 décembre, Paris, L’Harmattan, Coll. Recherches asiatiques, 1987.

[16] Le chiffre de 6.000 morts a longtemps couru. Il est aujourd’hui minimisé par les études historiques. Il n’empêche : écrire plusieurs milliers est conforme à la vérité.

[17] Chinoise.

[18] « Esthétique exotico-coloniale et nostalgérie chez Patrick Buisson », Site Internet L’Humanité, 14 octobre 2010.

P.S. :

A Longjumeau, le 24 avril 2012

Et voici donc la mise en application de la légitimation du FN, prônée par son égérie

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