Interview par Kamel LAKHDAR-CHAOUCHE du 15 janvier 2022
« La France doit reconnaître tous ses crimes »
Henri Pouillot est un témoin de la guerre d’Algérie, de la torture, militant pour les droits de l’homme, anticolonialiste, antiraciste... Il est surtout l’auteur d’un livre témoignage : Tortures en Algérie, un appelé parle, juin 1961- mars 1962. Dans cet entretien, Henri Pouillot revient entre outre sur les déclarations des candidats de la droite française et de son extrême concernant les Français d’origine des anciennes colonies, le racisme, héritier du colonialisme, qui n’a pas disparu du paysage politique français, la question mémorielle et de la torture largement pratiquée durant le colonialisme français en Algérie. Henri Pouillot est un témoin vivant de cette période, en tant que soldat-appelé.
Henri Pouillot est un témoin de la guerre d’Algérie, de la torture, militant pour les droits de l’homme, anticolonialiste, antiraciste... Il est surtout l’auteur d’un livre témoignage : Tortures en Algérie, un appelé parle, juin 1961- mars 1962. Dans cet entretien, Henri Pouillot revient entre outre sur les déclarations des candidats de la droite française et de son extrême concernant les Français d’origine des anciennes colonies, le racisme, héritier du colonialisme, qui n’a pas disparu du paysage politique français, la question mémorielle et de la torture largement pratiquée durant le colonialisme français en Algérie. Henri Pouillot est un témoin vivant de cette période, en tant que soldat-appelé.
L’Expression : Le racial-radicalisme exprimé dans certaines déclarations comme celles d’Éric Zemmour ou parfois de Valérie Pécresse, sans oublier les « maladresses du président Macron », au sujet de la mémoire, ne risquent-elles pas d’hypothéquer les relations de la France avec le Maghreb et l’Afrique en général ?
Henri Pouillot : En France, le débat sur la responsabilité de la France en Algérie et tout particulièrement pendant la guerre de Libération nationale de l’Algérie a été relancé à partir des années 2000, après le témoignage de Louisa Ighilahriz dans le Journal Le Monde. C’est alors que l’extrême droite, avec les nostalgiques de l’Algérie française et de l’Organisation armée secrète (OAS), qui ont tenté de mener une campagne pour vanter les « bienfaits du colonialisme », en contestant la réalité des crimes dont serait responsable l’état français dans toute cette période. Une partie de l’UMP / LR (les Républicains) ont suivi, un peu plus modérément, comme Valérie Pécresse, mais sont à l’initiative de la loi de février 2005, vantant ces soi-disant « bienfaits du colonialisme ».
S’agissant du président Macron, il n’y a pas eu de maladresses, mais plutôt un calcul politicien bien organisé, pour permettre de se rallier une partie de cette droite. Le rapport commandé à Benjamin Stora en est la concrétisation, en voulant instrumentaliser le débat, qui va se développer avec le 60e anniversaire de la fin de cette guerre de Libération de l’Algérie. Même si certains aspects sont positifs dans ce rapport, des lacunes sont manifestes : que ce soient les actions de l’OAS ou la reconnaissance claire des crimes et de leur condamnation. L’un des objectifs de cette opération est de ne pas heurter ces électeurs nostalgiques, qui se retrouvent très majoritairement dans les idées de la droite, voire de la droite extrême. Pour tous ces politiciens, les relations avec le Maghreb et l’Afrique sont secondaires, face à la question de tenter de pouvoir être élus à la présidence de la République ou non.
Le racial radicalisme xénophobe n’exprime-t-il pas une indigence du sens politique derrière un agressif défoulement idéologique ?
Le racisme, héritier du colonialisme, n’a pas disparu du paysage français. L’expression souvent et toujours utilisée « issu de l’immigration » est typique : elle ne concerne pas Nicolas Sarkozy ou Manuel Valls, mais ceux qui, par leur nom, leur prénom, la couleur de leur peau traduisent une origine d’indigène de la République française. Et cela constitue une discrimination quasi systématique. Les attentats islamiques de ces dernières années ont été des catalyseurs d’une montée de la xénophobie, qui n’a pas été combattue par le pouvoir politique comme elle aurait dû l’être, quand elle n’a pas été instrumentalisée. Le débat autour de la loi sur le « séparatisme » en est l’illustration, favorisant l’islamophobie.
Au sujet si sensible de l’ouverture des archives, n’y voyez-vous pas en même temps qu’une bonne initiative académique, l’existence d’un danger que cela devienne une machine de guerre et de chantage, aussi bien en Algérie qu’en France ?
Tout particulièrement sous la présidence de Macron, la question des archives a été une manipulation constante. Entre l’ouverture promise, lors de la reconnaissance de l’assassinat de Maurice Audin, puis la fermeture administrative et la mise à disposition dite réelle et complète de toutes les archives, il risque de se passer encore quelques années. Il semble que les archives judiciaires soient plus fiables que les archives militaires, et que leur ouverture aux historiens va permettre d’éclairer des zones d’ombre. Les archives militaires restent hypothétiques, et elles ne sont pas toutes très fiables. Il suffit de se rappeler que pour Maurice Audin, la version officielle de l’Armée était qu’il s’était évadé.
Le fichier des Algérien(e)s qui ont été arrêté(e)s et amené(e)s à la Villa Susini, a été jeté dans le jardin et brûlé, quelques jours après le cessez-le-feu. Il aurait sans doute permis de trouver des informations concernant les nombreuses disparitions. Je voudrais donner aussi un autre exemple très concret sur un évènement qui s’est déroulé fin juin 1961, dont je fus témoin. Un appelé a été victime d’un attentat du Front de Libération nationale (FLN), rue Belcourt à Alger. C’était en somme mon « baptême » : je découvrais comment une ratonnade se développait. D’après le récit des « exploits » de ces participants, c’étaient plusieurs centaines de victimes qu’elle avait provoquées.
Dans les archives militaires que j’avais pu consulter à l’occasion du procès que j’avais eu avec le général Schmitt, j’avais trouvé 2 documents relatant cet évènement. Dans l’un d’eux, il était fait état de 4 morts, dans une second rapport d’une dizaine. Mais l’officier qui avait rédigé ces notes, ne se souvenant plus de ce qu’il avait écrit alors, dans son témoignage pour ce procès avec le général Schmitt évoque quelques dizaines de morts, voulant minimiser mon évaluation, mais reconnaissait ipso facto que les archives de l’époque avaient été sciemment minimisées.
La torture n’est-elle pas en fait et en réalité une des pratiques de crimes contre l’humanité, même si Bigeard et Massu avaient tenté de la légitimer comme recours pour démanteler les réseaux de la juste résistance anticoloniale ?
Evidemment ! La pratique de la torture qui a été généralisée, institutionnalisée pendant toute la période de la guerre de Libération de l’Algérie, est caractéristique de « crime contre l’humanité ». D’ailleurs, dans la Légion étrangère de nombreux SS...? s’y étaient réfugiés, espérant pouvoir ainsi acquérir la nationalité française et surtout échapper aux poursuites judiciaires. Ils ont souvent été des « formateurs » pour ces pratiques de torture. Et, dans cette pratique, il faut y inclure celle du viol qui fut si largement utilisée. Du fait de la culture musulmane, l’armée avait parfaitement utilisé ce moyen comme une arme terrible. Les femmes en étaient très souvent victimes, systématiquement menacées : en effet une femme violée était mise au ban de sa société, et cela constituait donc une pratique terrible pour elle. Mais les hommes aussi en étaient souvent victimes : en effet l’homosexualité n’est pas permise dans l’islam.
Le phénomène Zemmour et consorts (acteurs de l’extrême droite française) ne sont-ils pas en contradiction avec les valeurs de la République ?
Ce polémiste, descendant de pieds-noirs pro-Algérie française, est un multi récidiviste, plusieurs fois condamné pour haine et propos racistes : il est incompréhensible qu’il puisse prétendre à représenter la France, comme président. Mais, comme je le disais avant, un climat de racisme (s’il n’est pas cultivé- il n‘est pas combattu) persiste dans notre pays. Avec la pandémie actuelle, un climat de morosité s’est incrusté, cultivant toutes les craintes, et il n’est certainement pas sans conséquences sur le développement de la xénophobie.
Un calcul politicien, en particulier de la majorité actuelle, ou d’une partie, pense que ce personnage peut capter un électorat important, mais sera assez repoussoir pour ne pas pouvoir être élu, et donc, le mettre en avant, c’est prendre une assurance pour le second tour décisif de l’élection présidentielle.
Selon-vous quelles sont les voies permettant aux Français et aux Algériens de dépassionner les débats sur la mémoire commune et l’extirper des enjeux politiques ?
Il est déterminant que la vérité, sans ombre, soit connue, que les crimes soient reconnus comme tels et condamnés. Ce n’est pas une question de pardon : le pardon sous-entend que les faits commis ne sont qu’une simple erreur d’un moment. Dans le cas présent ; il s’agit d’une politique délibérée. La France doit reconnaître sa responsabilité dans tous les crimes, commis en son nom. Il y a les crimes contre l’humanité comme la torture, les viols, mais aussi les crevettes Bigeard, les camps d’internement, pudiquement appelés de regroupement (à ce sujet, le rapport Rocard, établi avant la fin de la guerre, dénombrait déjà plusieurs centaines de milliers de morts dont des femmes et enfants)
Il y a eu aussi ces crimes de guerre, comme les villages rasés au napalm : les historiens estiment entre 600 et 800 villages ainsi détruits, et ce dès 1954. Je garde un souvenir terrible de la visite que j’ai pu faire des ruines du village de Zaâtcha, près de Constantine. Ce village comptait 800 habitants (2 fois Oradour sur Glane), même si l’horreur ne se mesure pas seulement en nombre de morts. Sur le sol, on peut encore ramasser des éclats de ces bombes. Dans ces crimes de guerre, il y a aussi ces corvées de bois (ces exécutions sommaires sans jugement), l’utilisation du gaz VX er Sarin, les essais nucléaires au Sahara, dont les effets se font encore sentir aujourd’hui.
Il y a eu aussi ces crimes d’état (même si dans ce cas, il n’y a pas de définition juridique) commis en particulier à Paris le 17 octobre 1961 (et les jours précédents et suivants) ainsi que le 8 février 1962, où les décisions de répression avaient été prises en Conseil des ministres.
Quant aux questions algériennes, pour moi, par conception anticolonialiste, il n’est pas question de prodiguer des conseils, de formuler un jugement. Je m’interroge, en fonction des échos perçus, si l’examen des conflits FLN/MNA, de certaines actions violentes contre certaines populations, du sort réservé à certains harkis... un débat critique ne devait pas être mené pour en évaluer l’ampleur, les responsabilités et les conséquences que cela peut avoir encore aujourd’hui. Il est capital qu’une volonté politique réciproque se manifeste par la reconnaissance des responsabilités, de la condamnation des crimes, pour que des relations apaisées puissent se poursuivre. Et cela est tellement important, fondamental, du fait des relations humaines qui existent entre de nombreuses familles éclatées des 2 côtés de la Méditerranée. Espérons que, à l’occasion du 60e anniversaire de cette sombre période, une avancée significative verra le jour.
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