Le Colonialisme institué en Algérie par la France doit-il être condamné ?
Interventions faites Personnellement
Un débat vient de surgir, avec le projet de loi voulant "criminaliser la colonisation française en Algérie", (soutenu par 125 députés algériens) qui vient d’être annoncé il y a quelques jours. Certes il n’est sans doute pas déposé par hasard dans cette période, avec les conditions sociales que connait l’Algérie, et je ne me permettrai pas de le juger. La démarche est sans doute, pour une part, politicienne, parce qu’elle risque bien de n’accoucher que d’une souris. En effet, les accords d’Evian, signés le 18 mars 1962 rendent difficiles, quasi impossibles, des poursuites judiciaires, même vers des tribunaux spéciaux. De plus, beaucoup des principaux responsables, politiques ou militaires sont maintenant disparus. Mais les réactions françaises officielles sont tout aussi circonstancielles, à quelques semaines des élections régionales, et destinées à tenter de flatter le populisme français, et entrer en concurrence avec l’extrême droite. Pas moins de 4 Ministres Luc Chatel (au nom du Gouvernement), Bernard Kouchner (ministre des affaires étrangères), Eric Besson (Ministre de l’immigration et de l’Identité nationale), Hubert Falco (Secrétaire d’Etat aux Anciens Combattants) ont considéré cette initiative de "particulièrement inquiétante", "incompréhensible", "outrancière"… Une telle réponse officielle est honteuse, un déshonneur pour la France, une insulte au peuple algérien.
Depuis 1830, la colonisation, en Algérie a été jalonnée de nombreuses manifestations criminelles. Les tortures dans les commissariats remontent à loin, comme les exécutions sommaires, les enfumades… Certes ce n’était plus l’esclavage, les colons n’avaient plus (au moins théoriquement) droit de vie et de mort sur les "indigènes", mais ceux-ci n’étaient que des sous-citoyens : rarement scolarisés, très mal payés,… ils n’ont eu le droit de vote que très tardivement et leur voix ne comptait que pour un dixième de celle d’un "français" de souche européenne.
Les massacres de Sétif, Guelma, Khératta… en mai 1945, firent des dizaines de milliers de morts. Je me souviens, avec beaucoup d’émotion, de mon voyage de mai 2005. J’y étais invité pour le 60ème anniversaire de ces massacres. J’y ai rencontré des manifestants qui étaient dans le cortège où Saal Bouzid fut assassiné. Ils m’ont commenté, en refaisant le parcours de cette manifestation, les horreurs qu’ils n’avaient toujours pas oubliées. Leur témoignage direct restera pour moi, un moment inoubliable. A cette commémoration du 60ème anniversaire de Sétif, j’étais avec Nicole Dreyfus qui vient de nous quitter, il y a quelques jours. C’était une grande dame, une grande figure de l’anticolonialisme. Jeune avocate, elle s’était particulièrement distinguée en défendant des militants qui se battaient pour l’indépendance de l’Algérie : des pied-noirs (souvent membres du Parti communiste Algérien) des membres de l’Armée de Libération nationale comme Baya Hocine et Djihor Akrou (âgées de 16 ans) ou Zohra Drif dirigeante du FLN et bien d’autres, tout particulièrement pendant la période de ce qu’on a appelé la "Bataille d’Alger" (1956/57). Menacée alors de mort par l’extrême droite, par l’OAS elle n’a jamais cédé à la peur. En octobre 2000, avec 11 autres grands témoins de cette Guerre d’Algérie elle signait un appel en direction du Président Jacques Chirac et du Premier Ministre Lionel Jospin pour demander enfin la reconnaissance officielle et la condamnation de la Torture pendant cette guerre de libération. Encore aujourd’hui cet appel n’a pas reçu de réponse. Sur ces 12 témoins, c’est le 6ème qui nous quitte. Faudra-t-il attendre que tous disparaissent pour qu’enfin la France condamne ces crimes contre l’humanité commis en son nom dans cette période ? Pire, est la réponse déjà évoquée des 4 ministres Chatel, Falco, Kouchner, Besson. Je garderai le souvenir de cette dame qui aimait dire : "Je n’ai fait que ce que je devais faire, comme l’ont fait d’autres avant moi, dans d’autres circonstances tout aussi tragiques". Bel exemple de courage, de modestie.
Fin février2005, l’ambassadeur de France en Algérie, sur ordre, déclarait à Sétif que les évènements du 8 mai 1945 étaient "une tragédie inexcusable". C’était la première fois qu’une autorité française évoquait enfin ce drame sans en faire porter la responsabilité aux Algériens. Cette déclaration était certes un premier pas de l’Etat Français. Michel Barnier le ministre des Affaires étrangères de l’époque, confirmait cette démarche dans une interview qui paraissait dans la presse algérienne le 8 Mai 2005. Mais, quand je suis intervenu à la tribune de l’Université de Sétif pour dire "Non, cette "tragédie n’est pas inexcusable", elle est condamnable et elle doit être condamnée de façon claire et nette". L’amphithéâtre, plein à craquer, c’est levé et a applaudi. Cette première petite avancée "officielle" de 2005 a très vite tourné court. La loi de février 2005, certes votée presque en catimini, n’était qu’un processus amorcé en 2002 de "réhabilitation" du colonialisme, de ses idées. Avant 2002, on ne trouvait en France métropolitaine qu’une dizaine de villes dans les quelles une stèle commémorait l’Algérie Française ou les manifestations OAS (des 26 mars à Alger et 5 juillet à Oran), maintenant ce sont plus de 40 villes qui "honorent" "l’Algérie Française", l’OAS (et ses 4 responsables condamnés à mort et exécutés, considérés comme des "martyrs", des "héros"), des militaires qui se sont tout spécialement "distingués" comme dans la "Bataille d’Alger" (Colonel Jeanpierre, Commandant Erulin…). Des maires, députés, ministres (majoritairement de l’UMP) n’hésitent plus à encourager, soutenir de telles initiatives. Les Discours de Toulon, de Dakar prononcés par Nicolas Sarkozy sont, d’une certaine façon, une apologie du colonialisme. Le projet de l’UPM (Union pour la Méditerranée), pont vers l’Unité Africaine, est une démarche qui va dans ce sens.
Le honteux "débat" sur l’identité nationale mené en France par Nicolas Sarkozy et sa marionnette Eric Besson, veut instituer, de fait, qu’il y ait des "bons Français" et des sous-citoyens, comme au temps des colonies : les Français et les indigènes. Les citoyens de seconde zone qu’on cherche ainsi à stigmatiser sont prioritairement ceux "issus de l’immigration" (selon l’expression usuellement employée) c’est-à-dire ceux qui ont des ascendants originaires des anciennes colonies qui ont donc le teint souvent un peu foncé, qui ont des noms et prénoms africains ou maghrébins, qui sont considérés comme musulmans (dont intégristes) même s’ils ne sont pas croyants…
Aujourd’hui, il devient plus qu’urgent que la France reconnaisse enfin les crimes contre l’humanité commis en son nom que ce soit pendant la colonisation ou pendant la guerre d’indépendance, je pense aux tortures, aux viols, aux crevettes Bigeard, aux corvées de bois, aux exactions diverses, aux villages rasés au napalm… et qu’elle les condamne. Il ne s’agit pas de repentance, (terme qui a une connotation religieuse) : il n’est pas question de demander un "pardon" pour une "erreur" commise et de considérer que l’on pourrait oublier de tels actes.
N’oublions pas non plus les essais nucléaires à Reggane dans le Sahara algérien. Il y a eu les soldats français utilisés comme cobayes, et la population locale contaminée, prise en otage, qui souffre encore, et sans doute pour longtemps de l’irradiation provoquée par les bombes. La France n’a toujours pas fait le moindre geste pour que cette zone ne soit plus un danger permanent, encore interdite tant elle reste radioactive, 50 ans plus tard.
Un traité d’amitié Franco-Algérien, avait été annoncé comme imminent, en 2005, et devant être signé dans le courant de l’année. Hélas, la démarche colonialiste de la France depuis, l’a renvoyé aux oubliettes. Ce serait pourtant, évidemment une excellente chose, que tout le monde souhaite. Mais il ne peut sentir le pétrole ou le gaz, ni être un vil compromis politicien pour cacher d’autres réalités sociales de nos deux pays. Il ne peut avoir un sens et une solidité, que s’il est établi sur une base claire, sans compromission, dans le respect fondamental des droits de l’homme, avec toutes ses diverses composantes, garantie essentielle de respects communs, des deux côtés de la Méditerranée. Il serait temps qu’il redevienne d’actualité.
Je veux rêver que mes petits enfants, nos petits enfants français et algériens vivent dans ce bassin méditerranéen, une vie de bonheur, de paix, d’amitié profonde. Pour cela, il ne faut pas oublier le passé, y compris ses horreurs, les condamner pour qu’ils ne se reproduisent pas.
Vive la paix, l’Amitié entre les Peuples Algériens et Français.
Henri POUILLOT, témoin de la Guerre d’Algérie, co-coordinateur de la Semaine Anticoloniale
Paris le 16 Février 2010
J’approuve totalement cette analyse.
Après avoir passé 2 ans de service militaire en Kabylie en unité opérationnelle (1959-1961) je suis reparti, avec mon épouse, comme coopérants à Oran (1970-1975).
Je ne dirai jamais assez combien nous avons apprécié la qualité de l’accueil des responsables locaux algériens, de la population, mais aussi de tous nos collègues algériens, professeurs d’Université, enseignants, premiers psychologues etc...
Sur ces bases d’amitié réciproque, la France aurait dû pouvoir conclure un traité d’amitié avec l’Algérie, reconnaître tous les aspects négatifs de la colonisation et engager des échanges culturels et professionnels entre nos deux pays..
Cela aurait peut-être évité que l’Algérie se détourne petit à petit de la volonté démocratique du peuple algérien qui a été la très lourde victime de la guerre de colonisation.
Aujourd’hui, la situation apparaît très grave : même si cela est du ressort exclusif des algériens, on ne peut que regretter que le pouvoir réel soit exercé par l’Armée et que le peuple algérien soit tenu à l’écart des revenus et richesses économiques du pays. De même que les prémices de démocratie que nous observions encore en 1974 aient été réduits à néant.
Nous pensons souvent à tous nos collègues, à tous les étudiants que nous avons contribué à former...et nous nous inquiétons beaucoup sur leur sort aujourd’hui....
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