C’est un entretien exclusif pour "En vie à Béziers" avec Pierre Daum, spécialiste de l’Algérie et auteur notamment de "Ni valise, ni cercueil", un livre consacré aux pieds noirs restés en Algérie après l’indépendance. à propos de l’article paru dans le Journal municipal de Béziers concernant le 19 mars 1962, Pierre Daum déclare : "C’est un torchon ! "
Robert Martin : Pierre Daum bonjour. Vous êtes journaliste, collaborateur du Monde Diplomatique mais bien d’autres choses encore, vous pouvez nous en dire plus ?
Pierre Daum : J’écris aussi des livres, des enquêtes historiques sur le passé colonial de la France. J’ai écrit un premier livre sur le passé colonial au Vietnam, ce que l’on appelait l’Indochine, et un second livre sur l’Algérie. Le fait est que je connais très bien l’Algérie d’aujourd’hui puisque j’y effectue de nombreux reportages. Je vais très souvent dans ce pays et je connais aussi le passé colonial de la France en Algérie, avec sa phase finale, la guerre d’Algérie (que les Algériens appellent la guerre de Libération). J’ai écrit donc un premier livre sur les pieds-noirs qui sont restés en Algérie après l’indépendance et là, je vais bientôt sortir un nouveau livre sur les Harkis qui sont restés en Algérie après l’indépendance.
RM : Oui, votre livre sur les Pieds-noirs s’appelle Ni valise, ni cercueil et parle forcément de l’année 1962, mais surtout des pieds noirs qui sont restés en Algérie et pas de ceux qui sont rentrés en France dont on parlera tout à l’heure.
P. Daum : Absolument ! Avec mon livre Ni valise, ni cercueil qui est sorti en 2012, j’ai en quelque sorte détruit un des mythes, un des discours bétonnés sur la guerre d’Algérie, à savoir que depuis 50 ans on nous explique que, au moment de l’indépendance, à l’été 62, tous les pieds-noirs, tous les français d’Algérie, un million de personnes, de femmes, d’hommes et d’enfants avaient franchi la Méditerranée, et qu’ils avaient été obligés de quitter leur pays. Or, c’est faux ! C’est faux puisque j’ai retrouvé dans différentes archives ce chiffre très important : au 1er Janvier 1963, il y avait encore 200 000 pieds-noirs en Algérie. 200 000 sur 1 million, ça fait 20 %. Donc ça veut dire qu’il y a bien eu 800 000 qui sont partis, c’est donc un exode très important. Il n’est absolument pas question de nier cet exode très important, mais il y en a tout de même 200 000 qui sont restés et qui n’ont pas du tout été zigouillés comme on nous le raconte. Donc ce n’était pas la valise ou le cercueil pour tout le monde !
RM : Alors justement on va parler aujourd’hui de ceux qui sont venus en France et en particulier dans notre région, à Béziers, autour de Béziers. Je me suis permis de vous envoyer l’article qui a paru dans le Journal de Béziers il y a quelques semaines et qui retrace justement ce fameux 19 mars 1962. L’auteur, anonyme d’ailleurs, de cet article parle d’une date « infamante ». Quelle est votre réaction ?
P. Daum : Cet article est non seulement anonyme mais d’une très grande virulence. Cette date du 19 mars 1962 correspond au cessez-le-feu. Les négociateurs français et algériens s’étaient réunis depuis 10 jours dans la ville d’Évian pour essayer de trouver une solution de paix. Ils ont fini par la trouver le 18 mars. Ils ont signé ce texte de 93 pages qu’on appelle les accords d’Évian et qui prévoyait en préambule que le lendemain, à midi, donc le 19 mars, débuterait le cessez-le-feu. Des deux côtés, les armes cesseraient de tirer. Le fait est que ce cessez-le-feu a été largement respecté par les deux parties. Le problème c’est qu’il y a une troisième partie qui est venu mettre la pagaille, à savoir les tueurs de l’OAS (l’Organisation de l’Armée Secrète). Donc ces centaines, ces quelques milliers d’hommes, pieds-noirs et militaires français, ont refusé la paix, ils ont refusé que cesse cette guerre qui durait depuis 7 ans et demi. Car ils refusaient que l’Algérie devienne indépendante et que le peuple algérien puisse prendre en main son destin, comme toute démocratie le veut. En fait depuis 50 ans, cette date du 19 mars est une espèce d’épine qui est restée en travers de la gorge des nostalgiques de l’Algérie française et de leurs héritiers. Ce texte, qui est paru dans le journal municipal de Béziers, est une caricature de ce discours qu’on entend depuis 50 ans qui est, sous couvert de rappeler les exactions qui ont eu lieu après le cessez-le-feu, une façon de contester (50 ans après !) l’indépendance de l’Algérie. En fait ce texte fait partie de ce discours qui continue, de façon complètement anachronique, à pleurer la perte de l’Algérie française et à regretter l’ancien temps, celui de l’empire colonial français.
RM : Mais c’est donc le signe d’une grande souffrance !
P. Daum : Absolument ! Je le dis chaque fois que je peux le faire. J’ai parfaitement conscience de la souffrance d’un grand nombre de pieds-noirs, de rapatriés d’Algérie et aussi d’un grand nombre de harkis rapatriés en France. Et il n’est pas du tout dans mon esprit de nier ces souffrances. Le problème c’est que ces gens qui continuent à souffrir de la perte de leur pays, des lieux de leur enfance, de la vie de leur enfance, une partie de ces gens n’ont jamais été capables de faire ce travail de deuil, ce travail de réparation, qui passe en définitive par une compréhension globale de leur histoire. Ce qui se passe, c’est que ces gens qui continuent à souffrir, c’est tout d’abord parce qu’ils refusent de comprendre qu’il fallait bien évidemment que l’Algérie devienne indépendante et que la situation coloniale était une situation profondément injuste. On entend encore des gens qui vous disent : "Oh non mais c’est pas vrai, c’était pas injuste ! Nous, avec les Arabes, avec les Juifs, on s’entendait comme des frères". C’est complètement faux ! La situation coloniale était une situation d’oppression d’un groupe sur un autre groupe. Un truc complètement anti-démocratique ! Cet article dans le Journal de Béziers me fait finalement beaucoup plus rire, parce qu’il représente les dernières cartouches d’un groupe social qui est en voie de disparition complète. Aujourd’hui, lorsque vous parlez avec des jeunes (comme je le fais souvent, en intervenant dans des lycées), ils sont tellement beaucoup plus évolués que les gens qui continuent à pleurer la perte de l’Algérie française. Aujourd’hui en France la masse des Français est parfaitement d’accord pour penser que la colonisation était un scandale, une aberration et que c’est une chose heureuse et normale que l’Algérie soit indépendante. Maintenant pour revenir à cet article, on y voit comme d’habitude une manipulation des chiffres et une manipulation de la souffrance des hommes et des femmes qui vécurent en Algérie à cette époque-là.
RM : Sur le plan historique, il y a des contre-vérités ?
P. Daum : On trouve quelques contre-vérités mais surtout d’énormes silences. C’est caractéristique de ce discours-là qui se focalise sur les quelques centaines, voire les quelques milliers de pieds-noirs qui ont perdu la vie pendant la guerre d’Algérie. Tous les historiens sérieux estiment le nombre de pieds-noirs morts entre 3 000 et 4 000, sur 1 million de personnes. C’est évidemment 3 000 ou 4 000 de trop ! Mais il faut évidemment mettre en balance le nombre d’Algériens qui sont morts à cette même période (les 7 années et demie de guerre, de 1954 à 1962), et là les chiffres n’ont plus rien à voir ! Le nombre de civils algériens morts pendant cette même période, c’est de l’ordre de 400 000 personnes, 500 000 personnes ! Ces pieds-noirs nostalgiques refusent de regarder la souffrance des Algériens, ils refusent de regarder ce nombre de morts algériens. Des pieds-noirs sont morts sous les bombes du FLN, à Alger, placées souvent par des militants dans certains cafés fréquentés par les Européens. Mais la bombe artisanale, c’est l’arme du faible dans un combat. Au même moment où cette bombe faisait 4 ou 5 morts au Milk Bar à Alger, l’aviation française lâchait plusieurs tonnes de bombes sur des villages algériens qui faisaient 300 ou 400 morts en quelques minutes ! Ça, il faut en parler, il faut mettre les choses en parallèle. On avait un combat complètement inégalitaire entre une des armées les plus puissantes du monde à l’époque contre un peuple qui n’avait que quelques mitraillettes et quelques bombes artisanales pour se défendre.
RM : Au-delà de la souffrance, n’y a-t-il pas aussi le sentiment de la trahison ? Ils reprochent à De Gaulle de les avoir bernés !
P. Daum : Je dois dire que sur ce point-là, je ne peux pas leur donner complètement tort ! Il est vrai que De Gaulle les a bernés. Ils en portent d’ailleurs une blessure terrible. J’ai beaucoup interviewé de pieds-noirs, et lorsque vous prononcez le nom de De Gaulle, ils vous répondent que c’est le pire criminel que l’humanité ait porté ! De Gaulle est arrivé au milieu de la guerre, en mai 1958, quand vraiment la situation était explosive de partout et c’est justement le groupe de pieds-noirs qui voulait absolument conserver l’Algérie française qui a fait en sorte de remettre De Gaulle au pouvoir. Naturellement, ils étaient sûrs que De Gaulle allait être de leur côté. D’ailleurs la première phrase de De Gaulle, c’est "Je vous ai compris !". Sauf qu’il s’est arrêté là. Lors de sa première tournée en Algérie, certains ont cru entendre qu’il avait dit "Vive l’Algérie française ! ". Mais de façon très symptomatique, il ne l’a jamais dit dans aucun de ses discours à Alger et notamment le fameux discours où il lève les bras avec le V de la victoire et où il crie « Je vous ai compris ! ». Il aurait dit éventuellement "Vive l’Algérie française ! " quelques jours plus tard lors de son discours à Mostaganem et encore ça n’a pas été filmé, donc ce n’est même pas sûr ! En vérité De Gaulle a compris que c’était absolument impossible de conserver l’Algérie française car ça devenait complètement anachronique, il y avait des pressions internationales très importantes, etc. Alors, est-ce que dès mai 1958, De Gaulle, le jour où il a pris le pouvoir, avait déjà compris que les carottes étaient cuites et qu’il allait lâcher l’Algérie ou bien s’en est-il aperçu dans les mois qui ont suivi ? Je ne sais pas. Bon, il n’empêche qu’à un certain moment De Gaulle s’est convaincu dans sa tête, en silence, que l’Algérie ne pouvait plus rester française. Il a été un stratège très rusé. Il avait en face de lui un pouvoir pied-noir pro-Algérie française, qui était très solide, donc il n’allait pas leur dire tout de suite : " Écoutez, mes cocos, ne vous faites plus d’illusions " ! Il a joué finement, c’était d’ailleurs chaud puisque cela a abouti au putsch militaire de 1961. Il savait qu’il avait en face de lui des mecs qui étaient prêts à tout. Il l’a joué fine et stratégique mais c’était pour berner les ultras de l’Algérie française.
RM : Pour revenir à l’article, comment réagissez-vous comme journaliste à la teneur de ce journal municipal donc financé par l’argent public ?
P. Daum : C’est un torchon !
"Un article comme ça, c’est de la pure idéologie
Sous couvert de propos historiques, cet article n’a aucun sens historique quelconque, aucun désir d’approcher un peu finement, en nuances, les faits réels. Mais bon, toutes les villes, toutes les municipalités ont leur canard municipal. Ce sont des outils de propagande, de communication. Aucun des articles dans aucun journal municipal n’est là pour faire du journalisme, à savoir confronter les points de vue, pour essayer d’approcher la vérité. Là, on est dans la pure propagande ! Ce qui m’intéresse beaucoup, c’est de voir que plus d’un demi-siècle après l’indépendance de l’Algérie, le sujet continue à pouvoir vous rapporter des voix ! Robert Ménard non seulement s’est fait confortablement élire à Béziers, mais il continue à avoir une certaine côte dans sa ville et je pense qu’avec cet article il est en phase avec son électorat. Il y a suffisamment de gens à Béziers pour non seulement être d’accord avec cet article mais pour se dire : « Je vais encore au prochain tour lui apporter ma voix ».
RM : Quelle relation entre les pieds-noirs et le Front National ?
P. Daum : Dans mes différents travaux, j’ai pu voir une filiation très nette entre certaines idées, un certain discours des ultras de l’Algérie Française, et le discours anti-arabe du Front National – un discours qui déborde largement le Front National, d’ailleurs. Mais qu’on soit très clair : on dit « les pieds-noirs », mais en réalité, les pieds-noirs ne forment pas du tout un bloc monolithique. Il y a des points de vue, des façons de voir l’histoire, de voir le présent qui sont très différentes parmi les pieds-noirs. On peut distinguer dans ce large éventail, une partie particulière, absolument minoritaire, mais très bruyante, ceux que j’appelle les héritiers des ultras de l’Algérie française, ceux qui n’ont pas digéré la perte de la colonie algérienne. Le noyau dur, parmi eux, ce sont les anciens de l’OAS. Ces héritiers de l’Algérie française ont fait un mixte entre leur souffrance et une supposée barbarie arabe, comme si les Arabes étaient fondamentalement des gens qui ne pensaient qu’à prendre des couteaux et à égorger les chrétiens. Là réside la filiation idéologique. On la retrouve dans cet article puisque quand il parle des pieds-noirs qui ont été tués, c’est tout de suite pour évoquer des crimes les plus barbares possibles, dans une sorte d’hyper exagération. Quand on pense à ces tonnes de bombes qui s’écrasaient sur les villages de Kabylie et tuaient 300 personnes en quelques minutes, les corps déchiquetés de ces 300 personnes valaient largement en horreur des mecs qui se faisaient égorger sur les routes. Et donc il y a une filiation entre, il y a cinquante ans, cette vision du militant algérien du FLN comme un type non pas mû par un désir de liberté et de libération de son pays, mais un type mû par une espèce de barbarie fondamentale, un type assoiffé de sang chrétien. Aujourd’hui, dans les milieux d’extrême droite, on retrouve cette idée que la France et l’Europe sont sous la menace d’une invasion terroriste islamiste. Il est vrai que les petits jeunes désaxés qui prennent une kalachnikov pour tirer sur les dessinateurs de Charlie Hebdo peuvent favoriser ce glissement idéologique... Ceci dit, une personne sensée sait très bien que l’immense majorité des personnes de confession musulmane qui vivent en France ou en Europe n’a pas plus de désir de sang et d’assassinat que vous et moi.
RM : Quel rôle a eu l’armée ? Ce n’est pas un hasard si à Béziers on débaptise la rue du 19 mars 1962 pour un militaire soi-disant héros national !
P. Daum : C’est encore très récurrent dans les discours des nostalgiques de l’Algérie française. Ça m’évoque un roman absolument extraordinaire, qui s’appelle L’art français de la guerre d’ Alexis Jenni, un roman qui a remporté le prix Goncourt en 2011. Son personnage principal est sur le modèle de ce Hélie Denoix de Saint Marc dont parle l’article. Ancien résistant contre les nazis dans sa jeunesse, il va ensuite s’engager dans l’armée française, va combattre en Indochine pour essayer de sauver l’empire français, ça va être l’échec. Ensuite, il va essayer de faire la même chose en Algérie, ça va être encore l’échec et donc on comprend que ça peut vous déprimer un homme de s’être battu toute sa vie et d’avoir finalement toujours perdu ! Le roman est très fin car ce personnage d’officier fait preuve d’une très grande humanité, et on comprend bien que l’armée a été toujours très respectueuse de cet impératif républicain d’obéir au gouvernement. Face au peuple vietnamien qui, en 1945, a réclamé son indépendance, De Gaulle a eu une idée absolument effarante, alors que lui-même venait de se battre pour libérer son propre pays de l’occupation allemande. Quand c’est Ho Chi Minh et les Vietnamiens qui proposent la même chose en 1945, De Gaulle envoie l’armée française pour combattre les désirs d’indépendance du peuple vietnamien. Ces malheureux soldats français, ces officiers obéissent, dans un geste républicain vraiment très strict et très honorable, au gouvernement français. Et là, ils prennent une raclée ! C’est la fameuse défaite de Diên Biên Phu, en mai 1954. Tous ces officiers, on va les retrouver en Algérie, comme le célèbre Bigeard. Un aspect psychologique est très important : dans les représentations racistes en cours en France et en particulier dans l’armée française, le Vietnamien était un « sous-homme », un « indigène », il est physiquement petit. Par définition, notre grosse armée française doit faire une bouchée de pain de ces soldats vietnamiens ! Se faire battre à Diên Biên Phu, ça a été une gifle beaucoup plus grande que celle de 1940 face aux Allemands. Les Allemands, dans cette idéologie racialiste, appartenaient au même niveau de race que les Français. Quand ils arrivent quelques mois plus tard en Algérie, fin 1954, début 1955, ces soldats français viennent d’être humiliés par ces "niakoués", comme on appelait d’un terme péjoratif les Vietnamiens colonisés. Là, il n’est plus question de perdre. Pour le coup, les militaires français sont prêts à utiliser tous les moyens. Ils vont donc avoir un recours massif à la torture ! Dans tous les coins de l’Algérie vont être organisées des salles gérées par des officiers de renseignements (OR), au sein du 2ème bureau. Grâce notamment à la torture mais surtout à une hyper puissance matérielle et en hommes, ils vont gagner cette guerre. Vous savez que la France a envoyé 1,6 millions de soldats se battre en Algérie. En face, le FLN et son bras armé, l’ALN, n’ont disposé au mieux que de 300 000 hommes. Quant au matériel, on l’a déjà évoqué, c’étaient des petites mitraillettes contre des avions bombardiers ! L’armée française a gagné la guerre au prix de centaines de milliers d’algériens tués, mais De Gaulle a dit que ce n’est pas possible de garder l’Algérie. Vous imaginez le désarroi des officiers français !
RM : Mais là, l’armée s’est révoltée contre le gouvernement !
P. Daum : Oui, ce fut un mini coup d’État ridicule, et ce pauvre Hélie Denoix de Saint Marc a fait partie de ces officiers qui se sont finalement ridiculisés dans cette affaire. Le putsch a fait pschitt en 4 jours ! Ces militaires qui avaient beau être des grands officiers de l’armée, n’avaient absolument pas senti le terrain. Ils n’avaient pas compris qu’ils seraient très seuls et que personne ne les suivrait. Ce jour-là, le 21 avril 1961, en effet, ils sont allés jusqu’à rompre l’impératif républicain, et ont désobéi au gouvernement. Mal leur en a pris, parce que non seulement ils se sont ridiculisés mais en plus ils se sont fait arrêter, ce qui est la moindre des choses, et ils ont fait de la prison. De façon assez incroyable aujourd’hui, ils ont finalement été non seulement amnistiés mais entièrement réhabilités dans leur grade d’origine et dans leur retraite de soldats. Et certains ont même été décorés de la Légion d’honneur.
RM : Revenons à cet article qui attise la haine et si on rajoute la fameuse affiche avec le pistolet, c’est la haine armée, c’est l’appel au meurtre, à la vengeance finalement !
P. Daum : C’est en effet ce qu’il faut dénoncer dans ce genre d’article. Lorsqu’on est élu de la République, comme Robert Ménard, la fonction devrait vous obliger à diriger vos actions politiques en faveur du bien vivre ensemble, de l’apaisement. Là, c’est tout le contraire, Robert Ménard essaye de réchauffer de vieilles braises de haine. Même si son action est plus ridicule que dangereuse (la nostalgie de l’Algérie française est en train de disparaître inexorablement), il faut la dénoncer. Mais j’irai plus loin. Il y a un grand travail à faire en France de reconnaissance de l’histoire de la colonisation française vue du côté des colonisés. Une histoire et un point de vue dont sont porteuses les familles immigrées d’Algérie qui vivent en France depuis un demi-siècle, et qui appartiennent aujourd’hui au peuple français. On n’enseigne pas suffisamment la colonisation française et la guerre d’Algérie vues du côté algérien. Avant 1962, il y avait déjà une présence importante d’Algériens en France mais après l’indépendance, cette présence s’est accentuée. Il faudrait reconnaître l’histoire de ces gens-là et donc finalement lorsqu’on parle de la colonisation française, et de son épisode final, la guerre d’Algérie, il faudrait être capable, en France, d’avoir les deux regards : le regard algérien, on va dire, le regard du peuple colonisé, et le regard français, le regard du peuple colonisateur.
RM : Pierre Daum, merci pour cet entretien. Je rappelle l’ouvrage que vous avez écrit sur l’Algérie est l’année 1962 Ni valise ni cercueil aux éditions Actes Sud avec une préface de Benjamin Stora.
P. Daum : Merci à vous !
Écrit par Robert Martin 2 mars 2015