Claude Juin, auteur de "Des soldats tortionnaires" intervenait en Algérie lors d’une conférence
Exactions de l’Armée française pendant la guerre de libération : "la torture était une pratique répandue"
La torture était une pratique répandue un peu partout, tout au long des années de la guerre, a déclaré, dimanche à Oran, le sociologue Claude Juin, un témoin des exactions de l’armée françaises pendant la guerre de libération nationale et appelé du contingent français pendant cette période.
Animant une conférence intitulée "le comportement des jeunes soldats du contingent pendant la guerre d’Algérie", puisée de son livre "Le gâchis" édité en 1958 et écrit à partir de notes qu’il a prises pendant son service militaire en Algérie, ce sociologue parisien a infirmé la thèse qui estime que la torture pratiquée par l’armée coloniale française était un "phénomène marginal".
"Beaucoup de jeunes soldats, des jeunes ordinaires, mes copains se sont transformés en tortionnaires, en pures racistes", a souligné le conférencier.
"Toutefois, il est difficile de chiffrer le nombre de soldats qui ont pratiqué la torture parmi les deux millions qui ont passé leur service militaire en Algérie entre 1954 et 1962", a-t-il dit, faisant remarquer qu’"aucune étude ni statistique n’a été entreprise pour le définir (chiffre)".
Pour lui "La peur a fait basculer les jeunes soldats, âgés entre 20 et 23 pour la majorité, non préparés ni adaptés à leur mission, et leur culture et notion de Français supérieur à l’indigène les a déculpabilisés".
"L’Armée française, consciente que les rappelés, plus âgés et plus conscients ne se laissaient pas faire (par elle), n’envoyait que les jeunes appelés en Algérie pour ce qu’elle appelait mission de pacification", dira-t-il.
"Ignorant tout de cette terre de découverte, pris par la peur de se faire tuer le lendemain lors d’une patrouille, n’osant pas remettre en cause les méthodes de leurs supérieurs, les jeunes soldats se transformaient en tortionnaires avec une rapidité déconcertante", a-t-il estimé en considérant que " l’endoctrinement du Français de l’époque, à qui on enseigne depuis l’école primaire que l’Arabe est un sous homme qu’il faut dompter avec la force, déculpabilisait ces gens ordinaires qui perdaient toute leur humanité".
"Il ne s’agit pas seulement de la torture mais aussi de la violence au quotidien contre la communauté dite indigène, comme giflant un homme qui ne dit pas bonjour, ou tapant à coup de crosse une femme qui ne répond pas rapidement à un appel", a expliqué Claude Juin.
"Les jeunes appelés étaient dans deux sortes de guerres, une qui les affrontait à la population suspecte à leurs yeux qu’ils devaient maîtriser, et une autre les engageait sur des armes lourdes, les opposant à l’armée de libération nationale (ALN)", a-t-il détaillé. Après plus de 50 ans, Claude Juin prépare un deuxième livre après sur "ce que deviennent les soldats tortionnaires".
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