50 ans après l’attentat commis par l’OAS dont elle fut victime le 7 février 1962, Delphine RENARD a décidé de rompre le silence qu’elle s’était imposé.
Le 7 février 1962 L’OAS décide une série d’attentats en Région Parisienne visant des personnalités diverses. L’une d’elle était André Malraux, ministre de la Culture de De Gaulle.
La charge de plastic n’atteindra pas son but mais blessera très grièvement une fillette de 4 ans, Delphine RENARD.
Malraux et sa famille habitaient le premier et le second étage d’une grande maison, qu’ils avaient loués à la grand-mère de Delphine qui en était la propriétaire. Delphine demeurait avec ses parents et sa grand-mère au rez-de-chaussée. Sa chambre donnait sur la rue latérale, c’est pourquoi il a été possible d’y placer une bombe.
Terriblement défigurée, elle perdra la vue, sa photo publiée publiée dans la presse le lendemain provoqua un immense choc dans toute la population française. Aussitôt, une manifestation sera organisée (malgré son interdiction) par le PCF et la CGT sont résolus à agir vite. Le soir même du 7 février, les responsables de la CGT et de la CFTC se rencontrent à la bourse du travail et décident d’appeler à une manifestation massive le lendemain même. La FEN et l’UNEF appelleront également.
Une répression féroce, organisée par le Préfet de Police de Paris Maurice Papon fera 9 morts (9 militants de la CGT dont 8 étaient des membres du PCF)
Dans quelques semaines, seront commémorés, ici et là, le cinquantième anniversaire des Accords d’Évian puis celui de l’accès de l’Algérie à l’indépendance. Ces événements ont mis fin à des mois de terreur, orchestrée, des deux côtés de la Méditerranée, par les factieux de l’OAS, Organisation armée secrète, créée en février 1961 pour s’opposer à la politique de décolonisation mise en place par le général de Gaulle.
Longtemps, la guerre d’Algérie, épisode honteux qui a souillé la France d’après-1945, a fait l’objet d’un consensus de refoulement collectif, malgré les initiatives courageuses de certains historiens tels que Benjamin Stora.
Aujourd’hui, le tabou tombe.
Paris a été, le 6 octobre 2011, la première institution française à témoigner officiellement de reconnaissance à l’égard des victimes en leur dédiant un monument au cimetière du Père Lachaise. Ce geste demeure cependant isolé. En effet, loin d’une condamnation rétrospective des 2 700 assassinats perpétrés par les nostalgiques de l’empire colonial, nous assistons au contraire à une consécration de leur mémoire, au mépris des victimes de leurs actes odieux.
Ayant survécu à un attentat dirigé contre le ministre André Malraux le 7 février 1962 et à la suite duquel, grièvement blessée, j’ai perdu la vue, je serais non pas une victime mais une "bavure", selon une confidence récente d’un vieil activiste - pas du tout repentant - à un journaliste.
J’avais jusqu’alors gardé le silence. Je choisis de le rompre ici pour dire ma révolte.
Sous le couvert d’hommages a priori légitimes rendus aux morts, des stèles ont été élevées non à la mémoire mais bel et bien à la gloire de criminels de l’OAS, pourtant condamnés en leur temps par la justice française.
Dans les municipalités où ces impudents cénotaphes ont vu le jour, l’idéologie extrémiste et le révisionnisme ont triomphé à la fois du sens commun et de l’esprit républicain : pas de tueurs de l’OAS, mais des combattants, des résistants, des patriotes ; et, dès lors, pas de crimes non plus, mais des exécutions et pas de victimes, mais des traîtres ou simplement des bavures !
Le 28 novembre dernier, le chef de l’État lui-même a apporté une contribution éminente à l’excitation des passions mémorielles en remettant personnellement la plus haute distinction de la Nation au légionnaire putschiste Hélie Denoix de Saint Marc et en érigeant ainsi en modèle la rébellion contre l’autorité légitime.
Peu après, le 10 janvier, lors d’une audience du tribunal administratif de Marseille liée à un recours contre l’édification d’une stèle magnifiant l’OAS dans un cimetière de Marignane, l’on a pu entendre l’avocat de la défense parler tranquillement des "prétendus assassinats" reprochés à l’organisation terroriste !
Aujourd’hui, le révisionnisme glisse vers un véritable négationnisme. À l’oubli des victimes succède la négation de la réalité des faits auxquels cette guerre sale a donné lieu de la part des ultras de l’Algérie française.
Selon Élie Wiesel, "tolérer le négationnisme, c’est tuer une seconde fois les victimes."
Il est des ressorts sur lesquels l’extrême-droite s’appuie pour sa montée en régime : l’Histoire nous l’a appris et elle adore bégayer. Nous sommes tous concernés par une République qui s’oublie au point de commettre des attentats à la vérité en honorant ceux qui ont eu recours à la barbarie pour tenter de renverser l’ordre démocratique.
Le 8 février, rappelant la responsabilité écrasante de l’État dans les neuf morts du métro Charonne, nous célébrerons, à travers eux, le sacrifice de tous ceux qui sont tombés sous les coups de l’OAS. N’oublions pas, certes, mais surtout souvenons-nous, car la mémoire est une action en marche.
Delphine Renard, pour l’AMPROMEVO (Association nationale pour la protection de la mémoire des victimes de l’OAS)
Delphine Renard est aussi l’auteur de Judaïsme et psychanalyse : les "discours" de Lacan, à paraître aux éditions du Cerf (printemps 2012)
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