Cette proposition de loi a pour but de rendre sa vocation initiale au Mémorial du Quai Branly à Paris pour supprimer le nom des victimes de la manifestation de la Rue d’Isly (Alger) du 26 mars 1962
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 1er février 2011.
fixant la destination du Mémorial national de la guerre d’Algérie et des combats du Maroc et de la Tunisie et relative à la mémoire des victimes de l’OAS (Organisation armée secrète),
(Renvoyée à la commission de la défense nationale et des forces armées, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par Mesdames et Messieurs
Marie-Hélène AMIABLE, François ASENSI, Martine BILLARD, Jean-Pierre BRARD, Marie-George BUFFET, Jean-Jacques CANDELIER, André CHASSAIGNE, Jacques DESALLANGRE, Marc DOLEZ, Jacqueline FRAYSSE, André GERIN, Pierre GOSNAT, Maxime GREMETZ, Jean-Paul LECOQ, Roland MUZEAU, Daniel PAUL et Jean-Claude SANDRIER,
député-e-s.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Érigé à la demande des associations représentatives des anciens combattants en Algérie, au Maroc et en Tunisie, le Mémorial national présent sur la promenade piétonne du quai Branly à Paris (7e) a vocation à perpétuer le souvenir et à rendre hommage aux Morts pour la France durant les combats des guerres coloniales en Afrique du Nord.
C’est au terme d’une longue concertation avec les pouvoirs publics que ce monument a vu le jour, le 5 décembre 2002.
Par arrêté du 3 mars 1998, le secrétaire d’État à la défense chargé des anciens combattants (M. Jean-Pierre Masseret) avait mis en place un groupe de réflexion chargé de déterminer les modalités de création d’un mémorial national de la guerre d’Algérie. Ce groupe, présidé par M. Jean Lanzi, journaliste et ancien combattant d’Algérie, était constitué de représentants d’associations d’anciens combattants, de directeurs de centres d’archives, d’historiens, des parlementaires rapporteurs du budget des anciens combattants dans chacune des assemblées et de personnalités qualifiées.
À l’issue de dix réunions, la commission avait adopté quatre conditions à la construction du mémorial : le mémorial devait être édifié à Paris et dans un lieu prestigieux se prêtant à des cérémonies commémoratives ; il devait porter les noms de tous ceux qui sont morts pour la France entre 1952 et 1962 en Algérie, en Tunisie et au Maroc ; une inscription devait rappeler le souvenir de tous ceux, supplétifs en particulier, ayant disparu après le cessez-le-feu ; les noms devaient être inscrits par année de décès et dans l’ordre alphabétique sans autre mention supplémentaire que le prénom du soldat. Il avait également et surtout été décidé que seuls les noms des combattants dont l’acte de décès était revêtu de la mention réglementaire « Mort pour la France » entre 1952 et 1962 en Algérie, en Tunisie et au Maroc figureraient sur le mémorial.
En l’absence de toute consultation préalable des associations, historiens et personnalités ayant participé à la définition de ces principes fondateurs, le secrétaire d’État à la défense et aux anciens combattants, M. Hubert Falco, a annoncé, le 5 décembre dernier, que la colonne centrale du Mémorial serait, à partir du 26 mars 2010, dédiée à la mémoire des victimes civiles de la fusillade ayant tragiquement conclu, rue d’Isly à Alger, le 26 mars 1962. Ce jour eut lieu une manifestation à caractère insurrectionnel à laquelle l’OAS avait appelé et que les autorités civiles et militaires avaient interdite.
Cette annonce a été suivie d’effet : le 26 mars 2010, au cours d’une cérémonie officielle, en présence d’un représentant du secrétaire d’État à la défense et aux anciens combattants, il a été procédé à une seconde inauguration du monument dont la colonne centrale a été dévoilée dans sa nouvelle présentation, faisant apparaître les noms et prénoms, issus d’une liste privée, de victimes civiles des événements en question.
Que ces victimes aient été enrôlées ou simplement manipulées par l’OAS, elles n’en ont pas moins obéi en toute connaissance de cause à un mot d’ordre émanant d’un mouvement séditieux. Son objectif consistait à faire obstacle, par les armes et la terreur organisée, par le massacre collectif ou l’assassinat individuel, par l’attentat aveugle ou ciblé, à l’application des accords d’Évian, majoritairement approuvés par les Français, et empêcher, par conséquent, l’accès de l’Algérie à l’indépendance. L’ancien préfet de police d’Alger, puis directeur de la Sûreté nationale, René Jannin, déclarait le 17 mai 1962 au procès de Raoul Salan : « Aux deux postes où j’ai exercé ces responsabilités, j’ai assisté aux maux toujours grandissants que cette organisation portait à l’Algérie, et j’ai été amené en conscience à la considérer toujours plus nettement comme une sorte de syndicat du crime. »
Si, de toute évidence, le respect est dû par la collectivité nationale à l’ensemble des victimes de la guerre d’indépendance de l’Algérie, sans exclusive d’aucune sorte, celles de la fusillade intervenue le 26 mars 1962 à Alger ne peuvent en aucun cas être assimilées aux Morts pour la France, appelés du contingent, supplétifs, militaires de carrière, membres des forces de l’ordre tombés sous les coups notamment de l’OAS.
La mémoire de ces victimes de la rue d’Isly est, en tout état de cause, déjà collectivement visée par le message contenu sur une stèle latérale édifiée le 5 décembre 2006 sur le site du quai Branly. Elle est également honorée par le monument dit de la butte du Chapeau rouge, dans le 19e arrondissement de Paris. De surcroît, leurs noms sont gravés sur des plaques individuelles à Théoule-sur-Mer (Alpes-Maritimes), près de la statue de Notre-Dame d’Afrique.
Les auteurs de la présente proposition de loi estiment que l’initiative prise par le secrétariat d’État à la défense et aux anciens combattants constitue à la fois un détournement de la vocation du Mémorial national du quai Branly et une offense aux Morts pour la France en Afrique du Nord. Ils y voient la marque d’une soumission, lourde de conséquences, aux thèses révisionnistes développées par des organisations extrémistes.
Pour preuve : certaines d’entre elles se sont, pour la première fois, opposées frontalement au déroulement, le 19 mars dernier, des commémorations du cessez-le-feu en Algérie, provoquant, localement, incidents et troubles à l’ordre public.
De la même façon, l’émergence de nombreuses diffamations visant les victimes de l’OAS et de menaces à l’égard des personnes qui en défendent le souvenir, démontrent combien la falsification de l’histoire, tolérée voire entretenue par l’État, peut déchaîner la violence du discours et combien celle-ci peut se traduire dans les actes : en atteste le développement actuel des procédures dont les cours et tribunaux sont saisis par les victimes de ces comportements.
L’indignation du monde combattant est d’autant plus vive que l’État français, bienveillant à l’égard des anciens factieux dont il accepte toutes les formes d’héroïsation, s’est toujours montré hostile à la reconnaissance pleine et entière du sacrifice des quelque 2 200 victimes de l’OAS, en Algérie comme en France, qu’il s’agisse de civils, de militaires, de magistrats, de policiers, d’enseignants, de fonctionnaires, défenseurs des institutions de la République.
Cette guerre se poursuit sur le terrain des mémoires. La représentation nationale est en droit de s’inquiéter et a le devoir de réagir face à ce désordre mémoriel générateur de transgressions de la vérité historique et de divisions entre les Français.
La proposition de loi sur laquelle il lui est demandé de se prononcer aura pour effet, si elle est adoptée, de permettre au Gouvernement de restaurer son image de garant des valeurs républicaines et de prévenir les initiatives, nationales ou locales, susceptibles, à deux ans du cinquantenaire de la fin de la guerre d’Algérie, de nuire à la réconciliation des mémoires et à l’apaisement des rapports entre la France et l’Algérie.
Dans cette perspective, cette proposition de loi :
1°) consacre, en la légalisant, la vocation originelle du Mémorial national des Morts pour la France en Afrique du Nord, en sorte que ce monument retrouve et puisse conserver son aspect antérieur à la date du 26 mars 2010 et qu’il soit préservé de tout risque de voie de fait ;
2°) porte reconnaissance par la France des crimes de guerre commis par l’OAS ou en son nom, quelles qu’en aient été les victimes, en Algérie comme en France, et favorise la mise en œuvre des poursuites pénales à l’encontre des auteurs ou complices du délit d’injure ou diffamation dirigée contre la mémoire des dites victimes ;
3°) interdit les cérémonies commémoratives ayant pour objet de glorifier les auteurs d’agissements inacceptables, même en temps de guerre, commis par l’OAS ou en son nom, et dont l’apologie publique, plus ou moins explicite, est de nature à porter atteinte, d’une part, aux principes du respect dû aux familles de victimes et de la nécessaire sauvegarde de l’ordre public, et, d’autre part, aux règles de décence et de neutralité applicables aux lieux où elles se déroulent.
Article 1er
Le Mémorial national de la guerre d’Algérie et des combats du Maroc et de la Tunisie (quai Branly à Paris) accueille sur ses colonnes les noms des seules personnes dont l’acte de décès est revêtu de la mention "Mort pour la France" attribuée à titre militaire.
Article 2
La France reconnaît les souffrances subies par l’ensemble des victimes des crimes de guerre et attentats commis par l’Organisation armée secrète (OAS) ou en son nom, en Algérie et en France, de 1961 à 1962.
Par dérogation aux dispositions du premier alinéa de l’article 34 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, toute injure ou diffamation dirigée contre la mémoire d’une victime de l’OAS expose son auteur à la mise en œuvre des sanctions prévues en application, selon le cas, des articles 31, 32 ou 33 de la loi précitée, que celui-ci ait eu ou non l’intention de porter atteinte à l’honneur ou à la considération des héritiers, époux ou légataires universels vivants.
Article 3
Sont interdits les hommages publics à l’OAS lorsqu’ils prennent la forme d’inscriptions, images, effigies, plaques, stèles ou monuments dédiés, sur le domaine public, à l’organisation ou, nominativement, à l’un ou l’autre de ses membres, vivants ou décédés.
Sont également interdites les cérémonies honorant la mémoire des membres de l’OAS lorsqu’elles se déroulent devant les monuments aux morts, à l’intérieur ou aux abords de cimetières et en d’autres lieux publics et qu’elles s’accompagnent de prises de parole tendant, soit à ériger les membres de cette organisation en martyrs et héros de l’Algérie française, soit à valoriser les actes dont ils se sont rendus coupables.
La sanction applicable à toute personne ayant participé ou prêté son concours à la réalisation d’une infraction aux dispositions du présent article est celle prévue au cinquième alinéa de l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.