Le Conseil de Paris vient de décider le 8 Février 2011, à 19h40, quelques heures après la cérémonies d’hommage aux victimes de Charonne du 8 Février 1962, d’ériger une stèle à la mémoire de toutes les victimes de l’OAS, et ce, dans le prestigieux cimetière du Pére Lachaise.
Ci jointe la délibération (2011 DAC 26) : Apposition d’une stèle en hommage aux victimes de l’OAS dans le cimetière du Père Lachaise à Paris (20e)
Cette délibération a été adoptée à l’unanimité des conseillers toutes tendances confondues.
EXPOSE DES MOTIFS
La France a été meurtrie par le conflit algérien, de 1954 à 1962. Il faut attendre 1999 pour qu’une loi reconnaisse enfin la nature de la guerre d’Algérie. Ce conflit fut particulièrement douloureux. Il a profondément marqué les consciences de l’époque. Les populations civiles ont été victimes d’exactions et de massacres, perpétrés par les deux camps qui s’affrontaient. Aussi, il faut pouvoir tourner la page mais il faut également savoir se souvenir.
Depuis 2001, la Ville de Paris mène une action de mémoire historique en veillant à ce qu’aucun des acteurs de ce conflit qui fut aussi un drame national ne soit tenu à l’écart de notre communauté citoyenne. Afin de constituer une mémoire collective, il faut accepter d’entendre, de confronter toutes les mémoires, celles des soldats du contingent, des militaires de carrière, des harkis et de leurs familles, des Français rapatriés, des Algériens combattants pour leur indépendance, des victimes sans distinction de nationalité ou de religion.
Tel est le sens des initiatives prises par la municipalité en édifiant un mémorial au Père Lachaise en hommage aux 747 Parisiens, morts pour la France en Afrique du nord (Algérie, Tunisie, Maroc) ; en apposant des plaques d’abord sur le pont St Michel en souvenir des victimes de la répression du 17 octobre 1961, puis au Monument installé non loin du boulevard d’Algérie dans le jardin de la Butte du Chapeau rouge en mémoire des harkis et de leurs familles ainsi que toutes les victimes civiles ; en dénommant plusieurs lieux de Paris : la place Maurice Audin, jeune mathématicien , militant anticolonialiste disparu lors de la bataille d’Alger en 1957, victime de la torture ; la place du 8 février 1962 afin de se souvenir de la sanglante manifestation de Charonne ; la place du 19 mars 1962 rappelant la date officielle de cessez-le-feu en Algérie, non loin de la gare de Lyon où des milliers de jeunes parisiens prirent le train pour embarquer à Marseille pour l’Algérie.
Entre 1961 et 1962, de nombreux Français furent victimes de l’Organisation de l’Armée Secrète (O.A.S.), qu’ils soient militaires, fonctionnaires ou civils, pour le simple fait qu’ils obéissaient aux lois de la République, respectant les ordres du gouvernement légal et légitime.
Créée d’abord à Madrid de façon embryonnaire au début de l’année 1961, l’OAS ne prend véritablement son essor qu’après l’échec du putsch militaire d’avril 1961 à Alger. Entrant dans la clandestinité, ses membres entament une guerre sans merci à l’encontre de ceux qui s’opposent à son action et surtout qui ont fait le choix d’obéir et de respecter le gouvernement légal de la République.
Ainsi le 31 mai 1961, le commissaire principal Roger Gavoury, chef de la sûreté urbaine d’Alger est assassiné à son domicile par un commando delta (OAS) à coups de poignard. Le 20 novembre, c’est William Lévy, secrétaire général de la SFIO d’Alger qui est abattu, après que plusieurs de ses homonymes aient été assassinés par erreur par les commandos delta. Dans la nuit du 16 au 17 décembre 1961, le lieutenant colonel Rançon, officier catholique farouchement opposé à la torture, responsable du 2e bureau à Oran est tué par une bombe placée sous son lit. Alfred Locussol militant communiste ayant travaillé dans les cabinets de Charles Tillon et Fernand Grenier après guerre, est abattu chez lui à Alençon le 3 janvier 1962. Yves Le Tac, résistant et militant gaulliste, frère de Joël Le Tac, Compagnon de la Libération, élu de Paris, déjà grièvement blessé à Alger est l’objet d’une nouvelle attaque sur son lit d’hôpital le 18 février. L’OAS Métropole échoue mais le gendarme Legros meurt victime du devoir.
Le 9 mars, une bombe explose à Issy-les-Moulineaux devant l’entrée du congrès de mouvement de la paix. Trois personnes sont tuées dont 2 gardiens de la Paix, les brigadiers Albert Lavaux et Roger Pateron. Le 15 mars 1962, deux commandos delta investissent le centre social d’Alger et abattent 6 personnes : l’inspecteur d’académie Max Marchand, l’écrivain algérien Mouloud Feraoun, Marcel Basset, Robert Eymard, Ali Hammoutene et Salah Ould Aoudia. Le visage ensanglanté de la petite Delphine Renard, victime d’un attentat le 7 février 1962 qui visait André Malraux, ministre de la Culture du général de Gaulle est demeuré dans la mémoire nationale comme l’acte symbolique même des actions de l’OAS, d’autant plus symbolique que 9 manifestants qui protestaient contre cet acte odieux furent tués au métro Charonne le lendemain. Ces quelques exemples, non exhaustifs, montrent ce que fut l’horreur de ce conflit.
Aujourd’hui ces victimes sont restées dans l’oubli. Une association nationale pour la protection de la mémoire des victimes de l’OAS (ANPROMEVO) s’est constituée et s’est adressée à la Ville de Paris afin de bénéficier d’un lieu où les familles puissent se recueillir et se souvenir. C’est pourquoi il est proposé afin de leur rendre hommage, d’apposer une stèle dans le cimetière du Père Lachaise (parcelle sur la bordure de la 88ème division, à l’angle de l’avenue circulaire et de l’avenue Aguado, d’une surface de 2,02 m sur 0,30m) à Paris 20e, dont le texte est le suivant :
1961 – 1962
EN HOMMAGE
A TOUTES LES VICTIMES DE L’OAS
EN ALGERIE ET EN FRANCE
CIVILS, MILITAIRES, MAGISTRATS, FONCTIONNAIRES, ELUS,
DEFENSEURS DES INSTITUTIONS ET DES VALEURS DE LA REPUBLIQUE
Projet de Délibération
Le Conseil de Paris siégeant en formation de Conseil Municipal
Vu le code général des collectivités territoriales et notamment ses articles L 2511-1 et suivants ;
Vu la délibération du 5 mars 1979 réglementant les hommages rendus par la Ville ;
Vu le projet de délibération en date du par lequel M. le Maire de Paris soumet à son approbation l’apposition d’une stèle en hommage aux victimes de l’OAS dans le cimetière du Père Lachaise à Paris 20e ;
Vu l’avis du conseil du 20e arrondissement, en date du ;
Sur le rapport présenté par Mme Catherine Vieu-Charier au nom de la 9e Commission,
Délibère :
· Article 1 : Est approuvée la proposition de M. le Maire de Paris tendant à l’apposition d’une stèle en hommage aux victimes de l’OAS en bordure de la 88ème division, à l’angle de l’avenue circulaire et de l’avenue Aguado, d’une surface de 2,02 m sur 0,30m, dans le cimetière du Père Lachaise à Paris 20ème.
· Article 2 : Le texte de la stèle est le suivant : 1961 – 1962 En hommage à toutes les victimes de l’OAS en Algérie et en France, civils, militaires, élus, magistrats, fonctionnaires, défenseurs des institutions et des valeurs de la République.
· Article 3 : La conception, la pose et l’entretien du monument seront du ressort de la direction des affaires culturelles.
· Article 4 : La dépense correspondante, estimée à 13 472 euros sera imputée sur le budget d’investissement de la Ville de Paris, exercice 2011, rubrique 324, nature 2313, mission 40000-99-040, individualisation 10V00149 DAC.
Apppposition d’une stèle en hommage aux victimes de l’OAS
dans le cimetière du Père Lachaise
Je voudrais d’abord remercier les collègues qui, de droite ou de gauche, sont restés dans l’hémicycle. Et puis je voudrais aussi saluer les enfants des victimes de l’OAS qui ont patienté cet après-midi pour voir cette délibération passer en Conseil de Paris.
La décision de la municipalité et du Maire d’apposer une stèle en hommage aux victimes de l’OAS est un événement : c’est le premier monument en France qui va rendre hommage aux victimes de l’OAS.
Nulle part un tel monument n’existe, même pas à Évian, où pourtant le maire, Camille Blanc, fut assassiné par l’OAS le 31 mars 1961.
Et, comme l’indique la délibération, il a fallu attendre 1999 pour qu’une loi reconnaisse enfin la guerre d’Algérie et le 19 mars.
Il est temps aujourd’hui de travailler à entendre et à confronter les mémoires : les soldats du contingent, les harkis, les rapatriés, les Algériens luttant pour leur indépendance et toutes les victimes de cette guerre.
La Ville de Paris a déjà commencé un travail avec le Mémorial au Père Lachaise en hommage aux 747 parisiens morts pour la France en Afrique du Nord, avec la plaque du pont Saint Michel en souvenir des victimes du 17 octobre 1961, avec le monument en mémoire des harkis et des victimes civiles dans le jardin de la Butte du chapeau rouge, avec la place Maurice Audin, la place du 8 février 1962 au métro Charonne et la place du 19 mars 1962, date officielle du cessez le feu.
Il est important aujourd’hui de rendre hommage aux 2.200 victimes de l’OAS, qu’elles soient civiles ou militaires. Et il nous appartient de les sortir de l’oubli, de rappeler qu’elles ont été assassinées parce qu’elles avaient fait le choix de la loyauté, du respect des institutions républicaines, alors qu’elles étaient menacées par un terrorisme de grande ampleur, que ce soit en Algérie ou en métropole.
L’OAS visait des militaires, des fonctionnaires, des civils, des politiques, parce qu’ils respectaient les choix du gouvernement légitime.
Nous n’oublions pas que, lors de cette période dramatique pour la France et l’Algérie, un attentat a eu lieu contre le général de Gaulle, Président de la République, ce qui représente pour moi un double outrage, parce que le général de Gaulle était un grand Résistant et qu’il représentait les plus hautes fonctions de la République puisqu’il était Président de la République.
Je ne citerai pas de nom, car comment choisir entre les victimes ? Mais l’idée de cet hommage a été portée par une association, l’ANPROMEVO, à l’origine, il faut bien le dire, de la demande - et je rappelle aussi qu’elle a été reçue pour la première fois en 2007 par Odette Christienne, ma collègue -, dont le président est Jean François Gavoury, fils du commissaire Gavoury, chargé de la lutte contre l’OAS, assassiné à Alger le 31 mai 1961, et le secrétaire le Docteur Jean Philippe Ould Aoudia, fils de Salah Ould Aoudia, assassiné par l’OAS lors du massacre des Centres sociaux le 15 mars 1962 : ils sont présents dans la tribune, et je tiens à les saluer particulièrement, avec émotion et avec amitié.
Je rappelle aussi, parce que c’est une image qui était très forte - certains s’en souviennent -, l’image de cette petite fille, Delphine Renard, frappée au visage, qui est restée aveugle après l’attentat qui visait André Malraux.
Je voudrais répéter que les fils et filles de victimes de l’OAS poursuivent inlassablement leur combat pour la vérité, pour la justice, la dignité et pour que cessent, au cœur de la République, ces hommages rendus aux assassins de leurs pères, et l’apposition de cette stèle est un apport à leur juste cause.
Le Conseil de Paris va s’honorer, dans les secondes qui viennent, en votant cette délibération, je l’espère, à l’unanimité.
Je vous remercie.
C’est avec beaucoup d’émotions que nous avons pu assister à ce vote.
Voici la vidéo correspondante :
http://video.paris.fr/mdp/2011/vodj1/0208cadre/