Henri POUILLOT
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La "disparition" de Maurice Audin ? Un jugement qui interroge
Article mis en ligne le 15 novembre 2017
dernière modification le 19 juin 2018

par Henri POUILLOT
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Très impliqué, moralement, psychologiquement, (compte tenu de mon passé comme appelé affecté de juin 1961 à mars 1962 à la Ville Susini) sur les questions des pratiques de la torture dans cette période là, la question de la "disparition" de Maurice Audin reste pour moi un sujet de préoccupation prioritaire.
Militant avec plusieurs responsabilités, j’avais "profité" de la venue à Versailles du Général Pierre de Villiers (alors chef d’état major des armées), parce que j’y étais invité es-qualité de Président départemental de l’ARAC, pour lui remettre une lettre ouverte, en main propre. Le Général Schmitt m’a intenté un procès en diffamation pour y avoir écrit : "La hiérarchie militaire dispose de tous les moyens d’établir la liste des militaires encore vivants qui ont été des témoins directs de cet assassinat et de recouper les divers éléments, témoignages de ce puzzle pour qu’enfin la vérité soit connue. Le Général Maurice Schmitt (qui occupa les mêmes fonctions que vous actuellement, il y a quelques années) était capitaine à l’époque des faits, dans les fonctions d’officier de renseignements. Il rencontrait donc quotidiennement au QG de l’Etat Major d’Alger tous les autres officiers de renseignements du secteur ? Ils se retrouvaient pour faire le point sur leurs "résultats". Le cas de Maurice Audin (comme celui de Henri Aleg) a donc été obligatoirement commenté très largement étant donné l’importance de tels "détenus".

Le procès en première instance s’est déroulé à Marseille le 22 septembre 2015 et a fait droit à ses demandes et m’a condamné pour diffamation. La Cour d’Appel à Aix en Provence a confirmé cette condamnation le 14 mai 2016, (région où réside le Général et où il y est considéré comme une haute personnalité). En juin 2017, mon pourvoi en Cassation a été rejeté. J’ai l’immense sentiment d’avoir été victime d’une profonde injustice, alors que mon seul souci est de faire avancer la nécessaire vérité sur la "disparition" de Maurice Audin. J’ai la très nette impression de ne pas avoir été écouté, que les éléments que j’ai évoqués pour étayer ma bonne foi dans ce dossier n’ont pas été entendus.

En conclusions, ces procédures me coûtent un peu plus de 12.000 € (frais de déplacements, huissiers, avocats adverses, frais de procédure, condamnation...), et encore, mon avocat, militant, a plaidé gracieusement, et avec les intérêts correspondants aux prêts de type révolving que j’ai dû contracter pour m’acquitter de ces frais, cela fera environ 15.000€ (près de 8 mois de retraite).

Alors je livre ces éléments évoqués à votre réflexion, et je remercie à l’avance, bien évidemment tous ceux, toutes celles, qui pourront m’aider, selon leur sensibilité à poursuivre ce combat, ce combat auquel je tiens tant :
a. La reconnaissance par la France de l’institutionnalisation officielle de la pratique de la torture et donc de sa nécessaire condamnation
b. La vérité sur la "disparition" de Maurice Audin
Je compte bien le poursuivre avec d’autant plus de conviction, surtout que 3 militants acharnés eux aussi pour mener, ces combats, viennent de nous quitter récemment : Roland Rappaport (avocat de la Famille Audin depuis 60 ans), François Nadiras (Président de la LDH de Toulon) et Gérard Tronel (Président du Comité Audin)

Contexte :

Je rappelle le contexte dans lequel je suis intervenu publiquement, es-qualité de Président de l’ARAC des Yvelines : c’est après le communiqué important du 18 juin du Président de la République, que je rappelle ici.
"Communiqué de l’Élysée du 18 Juin 2014
Aujourd’hui est remis le Prix AUDIN de mathématiques, en mémoire de Maurice AUDIN, jeune professeur et militant de l’Algérie indépendante.
Depuis mon entrée en fonction, j’ai fait de l’exigence de vérité la règle à chaque fois qu’il est question du passé de la France.
C’est cette exigence qui m’a guidé quand, à l’occasion de mon voyage à Alger en décembre 2012, j’ai rappelé notre devoir de vérité sur la violence, sur les injustices, sur les massacres, sur la torture.
C’est cette exigence qui m’a conduit à ordonner que soient engagées des recherches sans précédent dans les archives du ministère de la Défense, afin de découvrir si des documents officiels permettaient d’éclairer de façon définitive les conditions de la disparition de M. AUDIN en juin 1957.
Ces recherches n’ont pas permis de lever les incertitudes qui continuent d’entourer les circonstances précises de la mort de M. AUDIN, que la Justice n’a plus les moyens d’éclairer. C’est aux historiens qu’il appartient désormais de les préciser.
Mais les documents et les témoignages dont nous disposons aujourd’hui sont suffisamment nombreux et concordants pour infirmer la thèse de l’évasion qui avait été avancée à l’époque. M. AUDIN ne s’est pas évadé. Il est mort durant sa détention.
C’est ce que j’ai voulu signifier en me rendant le 20 décembre 2012 place Maurice AUDIN à Alger, devant la stèle qui honore sa mémoire.
C’est ce que j’ai dit à Mme AUDIN en la recevant le 17 juin 2014, 57 ans après la disparition de son mari à l’égard duquel un devoir de mémoire et de vérité nous oblige."

A ce jour les documents, la liste des témoins entendus, le contenu de ces témoignages ne sont toujours pas connus. Or les témoignages sur cette disparition ne peuvent être que ceux de militaires opérant durant la Bataille d’Alger. Aucun civil n’a revu Maurice Audin, hormis Henri Alleg le 13 juin, et il ne l’a aperçu seulement que quelques secondes. Pourtant les déclarations du Général Aussaresses faites à Jean-Charles Deniau et rendues publiques dans un livre et dans une émission télévisée sur France 3 le 8 janvier 2014, puis les documents d’archives du Colonel Godard retrouvées en Californie par la journaliste Nathalie Funès ont permis d’apporter, avec ces informations, quelques éléments apportant un début d’éclairage sur cette affaire, mais, le puzzle est encore loin d’être assemblé.

En conclusion :
Donc, pour moi, en dehors de toute polémique, ce combat, "reconnaissance et vérité sur l’Affaire Maurice Audin" est l’un de mes principaux objectifs, qui m’apaiserait enfin. En aucune manière je n’ai eu l’intention de diffamer Mr Schmitt, et mes propos consignés dans cette lettre ouverte mise en cause ne me paraissent pas diffamatoires. L’omerta que fait régner l’Armée Française (secret d’état ? secret-défense ?) durera-t-elle tant que le principal responsable présumé sera encore vivant ?
Je pense sans cesse à Pierre et Michèle ses enfants, Josette sa femme, qui espèrent savoir ce qu’est devenu leur papa, son mari, où se trouve son corps pour pouvoir enfin aller se recueillir sur sa tombe !!! Je pense aussi à Roland Rappaport, l’avocat de la famille Audin pendant 60 ans, à Gérard Tronel, président du Comité Audin qui viennent de décéder il y a quelques mois, pour qui cette "affaire" Maurice Audin aura été l’un de leur combat prioritaire et qui viennent de nous quitter sans avoir pu connaître la vérité.
L’honneur de la France serait que les plus hautes autorités de l’Etat reconnaissent et condamnent enfin les crimes contre l’humanité commis en son nom. Cette démarche permettrait à de nombreux appelés, comme moi, qui ont tant souffert dans cette terrible tourmente des horreurs vécues, de retrouver un peu de sérénité pour leurs vieux jours, les quelques années qu’il leur reste à vivre.
Je me sens donc victime, par cette condamnation, et pas seulement à titre personnel mais pour la nécessaire marche vers la reconnaissance de la vérité sur cette question, d’une profonde injustice, puisqu’elle n’a pas pris en compte les éléments justifiant de ma bonne foi, qui, me semblent pourtant très concrets. Il est donc plus qu’urgent que les documents et témoignages nombreux et concordants (annoncés dans le communiqué de François Hollande) permettant de dire que Maurice Audin ne s’est pas évadé est mort en détention soient connus, y compris comment l’Armée a fait disparaître son corps.

Analyse de ce dossier justifiant de ma bonne foi

Voici les éléments qui m’ont forgé cette impression. Cela fait déjà longtemps que je déclare qu’il existait (il en existe encore) des militaires témoins de cette époque, certains ayant été d’ailleurs des acteurs à divers titres, de cette période de la Bataille d’Alger qui savent donc comment est mort et disparu Maurice Audin, et ce qu’est devenu son corps. Cela se trouve d’ailleurs très officiellement confirmé par ce communiqué très officiel de l’Elysée du 18 juin 2014.
Elle a donc été mise en cause dans ce procès, et pourtant elle est fondée sur 2 points forts :
-  Une expression publique que j’avais faite dans mon livre "Mon Combat contre la Torture"
-  Les contenus des 2 livres écrits par le Général lui-même : "Alger – Eté 1957 Une victoire sur le terrorisme" et "Deuxième bataille d’Alger (2002 – 2007) : la bataille judiciaire".

En voici les références : Je vous laisse donc juge.

Dans mon livre "Mon Combat contre la Torture", paru en 2004, actuellement épuisé, page 125, j’avais écrit, au sujet de l’Affaire Maurice Audin : "A ce jour, il reste un silence indécent, le silence de ceux qui savent (Aussaresses, Bigeard, Schmitt, Le Pen) comment il est mort, qui est responsable de son assassinat, comment les militaires se sont débarrassés de son corps, et où". J’avais certes oublié le Général Chabanne : il est vrai qu’il est toujours resté très discret sur cette période. Ce livre, Mr Schmitt l’a lu, puisqu’il écrit à la page 56 de son livre "Deuxième bataille d’Alger (2002 -2007) : La Bataille judiciaire" : "J’ai fait cependant observer qu’en octobre 2004, M. Henri Pouillot avait publié un nouvel ouvrage "mon Combat contre la Torture" où il relève pléthore d’inexactitudes…" Mais ce n’est pas ce passage que Mr Schmitt conteste : il n’y fait absolument aucune allusion, et pourtant, c’est dans cet ouvrage qu’il se livre à des attaques odieuses à mon égard sur des dizaines de pages, signe qu’il l’a lu avec beaucoup d’attention !!!. Alors qu’il a donc lu cette "accusation", il y a une dizaine d’années, il n’avait pas jugé utile de contester cette hypothèse à cette époque, ni jamais, jusqu’à cette procédure juridique d’aujourd’hui. Donc, son silence sur ce sujet précis pouvait me permettre d’en déduire que j’avais donc de très sérieuses raisons pour soutenir une telle affirmation. J’ai d’ailleurs rappelé ceci en conclusion de mon intervention lors de l’audience, sans que cela n’apparaisse dans les attendus du jugement.
Mais surtout les 2 livres de Mr Schmitt "Alger – Eté 1957 Une victoire sur le terrorisme" et "Deuxième bataille d’Alger (2002 – 2007) : la bataille judiciaire" sont une mine de confirmations pouvant étayer mon impression sur le fait qu’il est difficilement concevable de penser qu’il ne connait rien sur la disparition de Maurice Audin.
En particulier, à partir des informations émanant de M. Schmitt, lui-même, diffusées dans son livre "Alger –Eté 1957", il est permis de penser que le lieutenant de cette époque aurait dû très logiquement savoir comment était disparu Maurice Audin :
-  Ce livre est dédié "A la jeune fille que je vis mourir devant moi le 3 juin 1957, près du carrefour de l’Agha à proximité d’un lampadaire qui venait d’exploser" : il était donc bien à Alger ce jour là. Cela montre bien que, même basé à Sidi Ferruch, distant d’à peine 30 km d’Alger, il venait souvent dans cette ville, en particulier également pour rencontrer son supérieur hiérarchique le Lieutenant Colonel Bigeard.
-  Page 15 : …. "J’ai publié en 1992 un livre dans lequel un chapitre entier est consacré à la période allant d’avril 1957 à novembre 1959 durant laquelle j’ai servi en Algérie au sein du 3ème RPC"
-  Page 16 : "Dans mon livre je ne faisais pas mystère de ma participation à la seconde phase de l’opération d’éradication du terrorisme urbain que l’on a baptisé bataille d’Alger, plus précisément entre le 20 juillet et début septembre 1957". Il confirme donc très clairement cette responsabilité au sein du service d’OR (officier de renseignement) dès le 20 juillet 1957. Il sévira ainsi à l’Ecole Sarrouy.
-  Page 22 : il reconnait, de fait, "l’interrogatoire" qu’il a mené à l’encontre de Ali Moulay, même s’il conteste les procédures utilisées dont l’accuse ce témoin : "L’usage de l’électricité n’a pas été nécessaire pour faire parler Ali Moulay. Si cela l’avait été, on s’en serait servi…" Preuve que cette pratique lui était courante "si nécessaire".
-  Page 25/26 : Il rappelle " Ainsi, fin juillet 1957, le 3ème RPC du Lieutenant-colonel Bigeard se trouve devoir accomplir une mission qu’il ne souhaitait pas…. Je ne peux vous donner des ordres se référant à telle note de base… Vous agirez avec cœur et conscience, proprement. Vous interrogerez durement avec les moyens bien connus qui nous répugnent écrivit notre chef dans un ordre qui atteignit, bien entendu, la base mais aussi la hiérarchie jusqu’au gouvernement. Je ne me désolidarise absolument pas de ceux qui ont dû le faire…. "
-  Page 28 : "Je tiens à préciser que, dans mon esprit, si elles (les atrocités commises) peuvent expliquer des réactions spontanées de vengeance, elles ne justifient pas des interrogatoires sévères. C’est la nécessité de prévenir de nouveaux attentats à la bombe à Alger qui nous a placés en juillet et en août 1957 devant un choix abominable : ou bien interroger courtoisement des assassins et accepter des centaines de victimes innocentes ou bien nous salir les mains en utilisant des procédés qui nous révoltaient." Cette confession démontre bien les fonctions de tortionnaire de Mr Schmitt dans cette période.
-  Page 28/29 : …."Comme en Indochine, j’ai respecté les adversaires qui se battaient les armes à la main. J’aurais préféré ne pas avoir eu à participer à la fin de la bataille d’Alger. Mon chef le lieutenant-colonel Bigeard aussi : il l’a écrit. Ni l’un ni l’autre ne souhaitons que semblable défi soit à nouveau proposé à l’armée française." Il n’y a donc aucun doute, Mr Schmitt reconnait donc bien, lui-même, sa fonction d’officier dans les services d’OR dans cette période, pratiquant la torture ’quand c’était nécessaire’.
-  Page 50 : Le 3 juin eu lieu un attentat faisant exploser de fortes charges d’explosifs cachées dans des pieds de lampadaires : "J’étais ce jour là à Alger et passais à proximité du carrefour de l’Agha." (avant qu’il ne parte à Paris pour le défilé du 14 juillet, 8 jours avant l’arrestation de Maurice Audin). C’est d’ailleurs cet évènement qu’il utilise pour dédier son livre "Alger – Eté 1957" à une victime de cet attentat.
-  Page 51 : "Le 20 juillet 1957, le 3ème RPC est rappelé à Alger" Mais Sidi-Ferruch n’est qu’à moins de 30km d’Alger et dépendait de l’organisation militaire d’Alger, toujours sous la responsabilité du Lieutenant Colonel Bigeard, basé, lui à Alger même.
Le 20 juillet, c’est tout juste un mois après l’arrestation et la disparition de Maurice Audin, et cette version "officielle" d’évasion. Comment peut-on penser, quand l’une des obsessions de l’Armée était alors le démantèlement du PCA (dont elle surestimait d’ailleurs le rôle) et l’arrestation de ses responsables, que cette question ne soit pas encore évoquée entre les officiers de renseignements du secteur ? Maurice Audin avait été considéré comme l’un des maillons déterminants de l’organisation.
Les positions anticommunistes de Mr Schmitt sont notoires, tranchées : (dans le livre "Alger – Eté 1957") :
-  Page 33 : "Le livre noir du parti communiste français reste encore à écrire"
-  Page 41 : "Au printemps de 1956, le FLN et le PCA envisagèrent simultanément ou presque d’entreprendre la fabrication et la pose de bombes".
-  Page 42 : "Le docteur Hadjères du PCA recruta dans le milieu médical, un groupe d’obédience communiste à qui il confia la tâche de fabriquer des explosifs. Il entra en contact avec le Fln qui mit à sa disposition une villa de Birkadem dans les faubourgs sud d’Alger. On y produisit 300 grammes de fulminate de mercure qui servirent pour les détonateurs de toutes les bombes qui explorèrent durant l’automne 1956."
-  Page 49/50 : "Défilant derrière son chef… Et pourtant quelques libelles émanant des porteurs de valises et du parti communiste commencent déjà à critiquer violemment les méthodes employées contre les terroristes"
-  Page 56 : "Les traitres à part entière étaient des membres du parti communiste,…"
-  Page 143 : "…comme l’écrit Vladimir Volkoff dans le Figaro Magazine …L’agent est le parti communiste français… S’agissant du parti communiste, Vladimir Vokoff a indiscutablement raison."
Alors, quand Mr Schmitt est chargé des enquêtes relatives à des attentats de 3 et 8 juin 1957, compte tenu de son anticommunisme ainsi exprimé, comment douter que l’arrestation de Maurice Audin et Henri Aleg, tous deux connus pour leur appartenance au PCA, ne soient pas l’un de ses centres d’intérêts. L’arrestation de ces 2 personnalités avait fait la une de tous les médias.
S’il acceptait, à cette époque là, la rocambolesque évasion de Maurice Audin, pourquoi ne l’a-t-il pas traqué ? Dans sa logique, il devait être l’un de ces traîtres des plus dangereux à arrêter !!! Pourquoi n’évoque-t-il jamais cette affaire quand il traite de la Bataille d’Alger, c’est bien un fait majeur de cette période ?
Dans son livre "Alger Eté 1957" le nom de Maurice Audin n’apparait qu’une seule fois à la page 142 "Il est clair que Maître Boumendjel, Maurice Audin et Larbi Ben M’Hidi auraient dû être traduits devant un tribunal comme Ali Moulay, Hattab Habib Reda, Youssef Saadi et d’autres responsables du FLN". Il est donc surprenant que ce livre n’évoque pas autrement Maurice Audin, pourtant considéré comme un HAUT responsable du FLN (d’après cette phrase), aucune "information" sur son rôle pendant la Bataille d’Alger alors qu’il détaille les actions de nombreux autres dirigeants du FLN. Surprenante relation faite entre ces 3 hommes : l’un s’est pendu, l’autre s’est suicidé en se défenestrant, du moins ce furent les versions officielles, jusqu’au jour où Aussaresses avoue sa responsabilité dans leur assassinat. Mr Schmitt semble donc sous-entendre, cependant, par ce parallèle, que Maurice Audin a bien été, lui aussi, exécuté par l’Armée. Sinon, pourquoi les associerait-il de cette manière ? Pourquoi ce silence sur Maurice Audin dans tout le reste de ce livre ?
Page 145 : "Je me suis limité, pour ma part, à traiter de la bataille que j’ai menée à Alger, j’avais conservé de nombreux documents et en particulier les organigrammes de la ZAA. Fin 1959, lorsque j’ai regagné la métropole, je les ai emportés car ils ne représentaient plus aucun intérêt dans le cadre des actions en cours. Je les détiens encore. Je suis donc sûr des faits et des dates citées dans ce récit." Donc dans cet organigramme qu’il détient encore : il serait illogique que ne figure pas la place qu’y occupait Maurice Audin dans cette organisation.
Avec mon expérience, lors de mon affectation à la Villa Susini, 4 ans plus tard, je peux affirmer que tous les officiers chargés du renseignement de la Zone d’Alger se retrouvaient quasi quotidiennement pour faire le point sur leurs "résultats" sur les plans à mettre en place pour pratiquer les arrestations estimées nécessaires. En effet, c’était très souvent l’une de mes tâches d’être le chauffeur de l’Officier de Renseignements de la Villa Susini pour le conduire à ces réunions de coordinations. D’ailleurs dans le livre "Alger - Eté 1957" il confirme bien à plusieurs reprise ce type de réunions dans lesquelles il accompagnait souvent le Capitaine Chabanne. Dans la phrase de ma lettre ouverte l’expression : "Il rencontrait donc quotidiennement au QG de l’Etat Major d’Alger tous les autres officiers de renseignements du secteur ?" a été contestée. Pourtant Mr Schmitt évoque ces rencontres : page 64 (Alger - Eté 1957) : "le 21 juillet" (le lendemain de sa nouvelle prise de fonction) "au matin, j’accompagne le Capitaine Chabanne au PC du Capitaine Sirvent où se trouve déjà le Capitaine Léger. Sirvent nous explique…" Puis page 65-66 " On a souvent critiqué, parfois à juste raison, les rivalités existant entre les régiments de la 10ème DP, parfois même entre les compagnies d’un même régiment. C’est une ambiance toute différente qui a régné du 21 juillet au 3 septembre 1957 entre Chabanne, Sirvent, Léger et leurs officiers. Ce fut un intense travail d’équipe qui fut initié le 21 juillet. Les liaisons étaient quotidiennes…." Donc le Lieutenant Schmitt, l’un de ces officiers, rencontrait bien quotidiennement les autres officiers chargés de missions de renseignements !!!
Cette conviction personnelle semble donc être corroborée par les écrits mêmes du Général Schmitt : en effet dans son livre "Deuxième bataille d’Alger (2002-2007) La bataille juridique" , page 90 il mentionne : "Du 20 juillet au 4 septembre, j’ai participé à la recherche et à l’arrestation des commanditaires et des exécutants des attentats très meurtriers de juin (le 3 les lampadaires, le 7 le Casino, cents victimes chacun) et de ceux, plus nombreux mais moins meurtriers, des 18 et 27 juillet…." L’arrestation de Maurice Audin date du 11 juin, celle d’Henri Alleg du 12 juin, la "disparition" de Maurice Audin du 21 juin telle qu’elle fut annoncée à son épouse Josette le 1er juillet. Le Lieutenant Schmitt aurait donc enquêté, sur cette période, donc en reprenant les éléments détenus par les différents officiers de renseignements opérant sur Alger, sans savoir ce qu’était devenu Maurice Audin ? Et comme l’armée avait déclaré que Maurice Audin s’était évadé, comment croire que, si cette version avait été la vraie, elle n’aurait pas tout mis en œuvre pour le retrouver. Comment penser alors, que le lieutenant Schmitt chargé d’enquêter sur les attentats du début du mois de juin 1957 n’ait rien entendu, n’ait pas recherché à s’informer sur cette "disparition". Une telle supposition aurait alors pu être considérée, elle, comme diffamatoire en estimant qu’un tel officier n’aurait pas enquêté de façon très sérieuse et complète sur cette "disparition !!
D’ailleurs, d’après le témoignage du Général Raymond Chabanne produit pour ce procès, celui-ci confirme bien que si Le lieutenant Schmitt n’était pas celui qui avait le titre d’Officier de renseignement du régiment : c’était un officier (son adjoint) "assurant des missions de renseignement et d’action". Ce témoignage démontre donc bien que je n’affabule pas quant aux fonctions de Mr Schmitt dans cette période. Pour un profane qui n’a pas vécu dans ce contexte précis de ces opérations, cette nuance est bien difficile à cerner entre "L’officier de renseignement" et un officier assurant des missions de renseignements.
Je n’ai jamais, jamais dit ou écrit que Le Général était mêlé de près ni même de loin à cette disparition, je n’ai jamais, jamais dit ou écrit qu’il avait pu en être un témoin direct, voire occulaire, ni même "privilégié". En effet Maurice Audin fut détenu (comme Henri Alleg) à El Biar, alors que le Lieutenant Schmitt sévissait à l’Ecole Sarrouy, et qu’il n’y a pris ces fonctions que le 20 juillet, donc après la "disparition" de Maurice Audin. Je n’ai exprimé que mon sentiment, en fonction de ce qui me semblaient donc des évidences : il semblerait en effet surprenant que Le lieutenant Schmitt ne sache pas, de ce fait, comment s’était déroulée la "disparition" de Maurice Audin. Dans les attendus du jugement en cassation, il est cependant retenu contre moi cette charge selon laquelle j’aurais accrédité l’idée : "il (M. Schmitt) aurait été informé des événements relatifs à l’affaire Maurice Audin voire aurait été témoin direct de ceux-ci et qu’il garderait le silence". JAMAIS, je n’ai écrit, dit, de telles affirmations. Elles sont pourtant consignées comme des charges à mon encontre dans les attendus de jugement.
Je suis accusé d’avoir transmis au "Journal des Combattants" cette lettre ouverte, or je ne connaissais pas je journal, n’ai eu aucun contact, et le Général Schmitt ne donne aucune preuve de cette "collusion".
Je reconnais bien volontiers avoir commis une erreur en considérant qu’à cette époque Mr Schmitt était capitaine alors qu’il n’était encore que lieutenant. Il ne fut promu à ce grade que quelques mois plus tard. Je ne vois pas en quoi cette erreur puisse être diffamatoire. L’inverse l’aurait peut-être été ?

P.S. :

Deux anecdotes dans le procès verbal de ce jugement :
-  dans la présentation de ma qualité de prévenu je suis de nationalité inconnue (j’ai pourtant justifié de mon identité avec ma carte d’identité nationale, j’ai fait mon service militaire et suis qualifié d’ancien combattant. Mes origines solognotes remontent à 1702 !!!)
-  comme antécédent judiciaire : j’ai "déjà été condamné". Tout comme Monsieur Schmitt, mais cette indication le concernant ne figure pas.

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La "disparition" de Maurice Audin ? Un jugement qui interroge
JAUSSERAN-SCHMIDT Jacques - le 30 juillet 2018

C’est la première fois que j’ai l’occasion de lire ce blog, très bien structuré.
Cet article est convaincant.

Mon père présidait le comité Audin de Marseille : beaucoup d’universitaires voulaient connaître la vérité, mais ils ne se faisaient pas trop d’illusions, et dès cette époque, deux ans avant mon incorporation et mon départ en Algérie (1960-1961), on parlait d’assassinat. La lecture de la Question nous confortait dans ce sentiment. Il existe forcément des documents.
Les confessions d’Aussaresses vont dans le même sens : le général ment donc. Son livre accroît le malaise, sous-entendus, justifications, affirmations récurrentes cachent la vérité, officiellement reconnue depuis peu, par François Hollande.

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