Henri POUILLOT
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Non à l’usurpation de la laïcité

Article paru dans l’Humanité du 5 septembre 2016, par Henri Pena-Ruiz philosophe et écrivain, auteur du Dictionnaire amoureux de la laïcité (Plon)

Article mis en ligne le 16 septembre 2016

par Henri POUILLOT
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La critique de l’islamisme politique et de ses crimes est juste, et nécessaire. Mais pas au nom d’un christianisme absous de ses violences millénaires par une mémoire sélective. Amnésique, l’extrême droite se situe dans la logique du choc des civilisations chère à Samuel Huntington. Elle affirme que les principes émancipateurs consignés dans le triptyque républicain seraient issus d’une tradition religieuse propre à l’Occident, alors qu’ils y ont été conquis dans le sang et les larmes, à rebours d’oppressions sacralisées par le christianisme institutionnel.

Faire dériver les trois principes de liberté, d’égalité et de fraternité du transfert aux autorités séculières de valeurs religieuses est une contrevérité. Pendant près de quinze siècles de domination temporelle, et pas seulement spirituelle, de l’Église catholique en Occident, jamais le christianisme institutionnalisé n’a promu les trois valeurs en question. Il les a bien plutôt bafouées. Ces valeurs, à l’inverse, sont nées d’une résistance à l’oppression théologico-politique.

Qu’on en juge.
Liberté ? Le droit canon de l’Église n’a jamais fait figurer la liberté de conscience (être athée, pouvoir apostasier une religion, en changer, etc.) dans ses principes essentiels. Tout au contraire. La répression des hérétiques (les cathares, par exemple), des autres religions (protestante, juive, puis musulmane), de la science (Giordano Bruno, Galilée), de la culture (l’index des livres interdits supprimé seulement en 1962) ne procède pas d’une philosophie de la liberté mais d’une théologie de la contrainte. En 1864, un syllabus de Pie IX (encyclique Quanta cura) jette encore l’anathème sur la liberté de conscience.

Égalité ? L’Église a toujours considéré que l’inégalité était inscrite dans l’ordre des choses et voulue par Dieu. Elle a entériné et sacralisé le servage de l’ordre féodal, la monarchie absolue dite de droit divin, et même, avec le pape Léon XIII à la fin du XIXe siècle, la domination capitaliste. La répression des jacqueries paysannes se fit le plus souvent avec sa bénédiction. La seule égalité qu’elle a affirmée est celle des hommes prisonniers de leur finitude et de leur tendance au péché, et jamais elle n’en a fait la matrice d’une émancipation sociale ou politique. Ceux qui le tentèrent furent réprimés. La théologie de la libération, en Amérique latine, fut condamnée par Jean-Paul II. La collusion de l’ordre social et de la religion fut représentée par les soldats du Christ d’une noblesse peu soucieuse de ses serfs, à l’époque des croisades. Lors de l’affaire Dreyfus, l’Église n’a pas brillé dans la défense de la liberté et de l’égalité, et n’a guère mis en garde contre l’abjection de l’antisémitisme.

Fraternité ? Si en principe les hommes sont frères comme fils du Dieu chrétien, ils ne le sont que dans la soumission et non dans l’accomplissement, toujours stigmatisé comme « péché d’orgueil ». La transposition de la fraternité issue de la condition commune des êtres humains en tant qu’êtres mortels en fraternité sociale et politique est l’invention d’un concept tout nouveau. Elle doit bien plus au droit romain d’une humanitas que Cicéron tenait pour source de la République, qu’au décalque d’une fraternité de finitude.

La réécriture cléricale de l’histoire visant à faire d’une tradition religieuse particulière la source des principes universels de l’émancipation est devenue courante, malgré son évidente fausseté. Elle consiste à nier les apports du droit naturel (jusnaturalisme souligné par les historiens du droit) issu de l’Antiquité gréco-latine. Mais, surtout, elle fait l’impasse sur les luttes et les souffrances qui furent les vrais leviers de l’émancipation, en dessinant les idéaux qui, en creux, dénonçaient les oppressions.

L’opération séduction du Front national invoque la laïcité, mais ne la promeut nullement. Rien contre la loi Debré, qui détourne l‘argent public vers des écoles privées religieuses. Rien contre le concordat d’Alsace-Moselle, qui maintient des privilèges anachroniques pour des religions. Le maire de Béziers installe une crèche chrétienne dans sa mairie et il interdit les paraboles qui, entre autres, permettent de capter des radios du Maghreb… Un privilège anti-laïque, d’un côté, une interdiction ciblée, de l’autre ! N’appelons pas laïcité le travestissement d’une discrimination !

Le processus de laïcisation, qui obligea le catholicisme à renoncer à sa domination multiforme sur la société, n’est pas réservé à une seule religion. Il peut concerner l’islam et le conduire à rejeter toute violence perpétrée en son nom. Nombre de ses fidèles prennent leurs distances avec l’intégrisme, dont ils sont souvent les premières victimes. Ils accomplissent ainsi le même geste critique que les chrétiens qui ont condamné les bûchers de l’Inquisition et vivent leur foi sans l’imposer aux autres. Il faut cesser d’essentialiser des données historiques. La culture, en son sens émancipateur, ce n’est pas la soumission à la tradition mais le courage de s’en affranchir. Le FN est aux antipodes d’une telle démarche.

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