Henri POUILLOT
Guerre d’Algérie, Colonialisme...
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Préface de Bernard SIGG

C’est Bernard Sigg, psychanalyste, (qui avait déserté afin de ne pas être contraint de mettre ses compétences de médecine pour l’exécution de tortures en Algérie), qui a écrit la préface de ce livre. Bernard Sigg était vice-président de l’ARAC

Article mis en ligne le 28 mai 2010
dernière modification le 13 novembre 2010
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La dénonciation de la torture en Algérie coloniale prit une ampleur nouvelle le vingt sept janvier 2001. "Le Général de Bollardière et la torture", film de André Gazut, était enfin projeté dans une grande salle grâce aux efforts de journalistes du Monde et de l’Humanité, en présence des signataires de l’Appel des Douze. L’Arlequin était comble, et du public jaillirent de nouveaux témoignages. Mais ils ne visaient que ce passé maintenant éloigné, alors qu’en persistent des effets sociaux graves –ignorance, discriminations, racisme- et de profondes traces dans les esprits. Le tout dans l’apparente indifférence des pouvoirs publics. Cela fut dit, avec l’exigence que l’état se mobilise pour soulager de leurs troubles les victimes survivantes,, les témoins passifs – "appelés" en majorité- mais aussi les exécutants non moins tourmentés. Un homme se leva, au fond de la salle, et dit alors : "Je fus de ceux-là, des tortionnaires, et c’est vrai."

Cet homme c’était Henri Pouillot, calme précis, contenant son émotion. Très différent de ces autres, peu nombreux, qui disent les mêmes choses mais avec froideur, en déniant tout regret ou culpabilité, et qui ne sont pas que généraux vieillis…

Dès lors se pose une question cruciale : pourquoi ce long silence public ? Pourquoi la censure et l’autocensure des médias sur ce que tous savaient ? Pourquoi plus de quarante années de mutisme pour ces hommes ? Henri Pouillot tente de répondre, dépassant nettement les récits et confessions antérieurs. Son texte simple mais tendu, repris à maintes reprises pour se faire mieux entendre, redit l’injustice coloniale, la soif revancharde de soldats trop souvent vaincus, l’ignorance majoritaire. Et puis il relève les "moyens de mises en condition" de l’armée, sa méticuleuse organisation pour broyer un peuple algérien fait d’indigènes, de terroristes, et de FSNA, tandis qu’elle brisait toute velléité de résistance chez les appelés et engagés "métropolitains".

Soudainement, sans emprunt aux sciences humaines, Henri Pouillot met en lumière les chaînons manquants dans l’explication de la terreur "pacificatrice" : l’isolement affectif des soldats, leur soumission par la crainte de la hiérarchie, la frustration sexuelle, l’excitante émulation de la "bande". On découvre ce qui fut jusqu’à présent le plus tu : à savoir le plaisir pris aux viols, tortures et meurtres. Bénéfice inhumain, indicible, qui referme et rétracte, pour toujours semble-t-il, ceux qui ont ainsi joui, quasiment sur ordre.

Ces hommes – car il n’y eu point de femmes tortionnaires ou criminelles dans l’armée en Algérie – n’étaient ni "pervers", ni monstres. C’est l’insidieux endoctrinement de l’époque, la situation coloniale et les manipulations de l’encadrement qui les ont fait se comporter comme tels. Henri Pouillot n’est pas psychologue, je l’ai dit, et encore moins psychanalyste, mais ses dix mois dans l’enfer de la Villa Susini lui ont fait deviner en chacun la dynamique des pulsions sexuelles et de la mort, la mystérieuse tendance humaine à jouir de l’autre. Aspiration habituellement contenue ou dérivée par l’éducation, le respect de la Loi, le regard de l’entourage. Tous freins levés par la guerre d’Algérie. L’exception s’y est faite loi, gouvernements et ministres invitaient à réduire l’insurrection par "tous les moyens", les pires méthodes étaient vantées par des généraux fameux et l’abbé Delarue offrait une justification religieuse aux bourreaux de la bataille d’Alger. Ce qui se traduisait dans les rangs, selon Henri Pouillot, par cette terrifiante conclusion : "On avait TOUS les DROITS". Tous les droits, au moins pour les membres des D.O.P. et services de renseignement, d’assouvir leurs envies sur les Algériennes et les Algériens que l’idéologie régnante leur livrait à merci, tel du gibier. De quoi rendre fou, puisqu’en outre ils n’avaient jamais de compte à rendre !

L’armée française en Algérie, et certains corps de police, ont perpétré des crimes de guerre là où ils étaient censés rétablir l’ordre, c’est un fait indiscutable. Et si des hommes ordinaires ont commis des forfaits, souvent à contrecœur, c’est sous la pression consciente d’intérêts politiques et économiques incarnés dans des personnalités profitant d’une totale impunité. N’est-ce pas ce que veut faire entendre Henri Pouillot ?

La République, si elle a retrouvé sa cohérence et s’est dégagée des ténèbres du colonialisme, doit aux premiers un statut de victimes de guerre, ceci afin de les faire bénéficier des possibilités psychothérapiques depuis longtemps revendiquées en faveur des torturés ou témoins affectés d’une névrose traumatique. En ce qui concerne les seconds, par contre, la justice se doit de leur demander des comptes. Papon fut des leurs, à Constantine, puis à Paris, et l’on comprendrait mal qu’il soit le seul sanctionné, même si ce fut pour des crimes antérieurs. En outre, des condamnations exemplaires ouvriront symboliquement la voie au droit à se libérer des traces psychiques traumatiques pour ceux et celles éprouvés par la guerre d’Algérie, avec quarante années de retard, mais quand même !

Bernard SIGG
Psychanalyste, Vice-Président de l’ARAC

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