Henri POUILLOT
Guerre d’Algérie, Colonialisme...
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Inauguration d’une Esplanade Maurice Audin à Tremblay en France
Article mis en ligne le 29 novembre 2014
dernière modification le 3 décembre 2014

par Henri POUILLOT
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Le samedi 30 novembre 2014 Monsieur le Maire de Tremblay en France, François ASENSI, a inauguré une "Esplanade Maurice AUDIN", en plein centre de la Ville, en présence de Josette AUDIN et de son fils Pierre.

Allocution de Monsieur le Maire :

Inauguration de l’Esplanade Maurice Audin : 29 novembre 2014

C’est pour moi une grande satisfaction que Tremblay donne à un lieu central de la ville le nom de Maurice Audin. Brillant mathématicien, il est assassiné par les parachutistes français en 1957, à 25 ans, parce qu’il était engagé aux côtés du peuple algérien pour conquérir l’indépendance de leur pays.

Le 11 juin 1957, la bataille d’Alger lancée par les autorités françaises pour éradiquer la résistance algérienne bat son plein. Les parachutistes de l’armée française font irruption chez Maurice Audin, à la pointe Pescale, en bord de mer, à 11 heures du soir. Maurice Audin est emmené manu militari et son appartement transformé en souricière. Sa femme, Josette, est séquestrée avec leurs trois jeunes enfants Michèle, une fillette de trois ans, Pierre dix-huit mois et Louis né un mois plus tôt.

Le lendemain, le journaliste et écrivain, directeur du journal Alger Républicain, Henri Alleg, passe pour prévenir Maurice Audin des vagues d’arrestation en cours. Il tombe dans le piège et est arrêté au domicile des Audin. Il est conduit au sinistre centre de torture des paras de Massu, dans l’immeuble d’El-Biar. Henri Alleg témoignera de la torture pratiquée par l’armée avec la bénédiction des autorités françaises, dont lui-même est victime un mois durant. Son livre La Question, paru aux éditions de Minuit en 1958, fait découvrir aux Français les pratiques terribles des militaires en Algérie : « J’entendais hurler, écrit-il, j’entendais les cris des hommes et des femmes pendant des nuits entières, c’est cela qui est resté dans ma mémoire ». En arrivant à la villa, Henri Alleg croise Maurice Audin qui vient d’être torturé. « C’est dur Henri ». C’est tout ce qu’a la force de dire Maurice Audin, un vague sourire aux lèvres. Henri Alleg sera le dernier ami à le voir.

Sa famille n’aura plus jamais aucune nouvelle de lui. Il n’a pas été revu vivant après que Henri Alleg l’ait croisé au centre de torture d’El-Biar, le lendemain de son arrestation.

Sa femme Josette ne pourra jamais croire la thèse officielle qu’on lui sert le 1er juillet 1957 selon laquelle son mari se serait évadé le 21 juin lors d’un transfert pour interrogatoire. Elle dépose plainte contre X pour homicide le 4 juillet 1957.

Je veux saluer ici le courage, la combativité, la persévérance de Mme Josette Audin qui nous fait l’amitié d’être à nos côtés aujourd’hui. Elle ne cessera d’exiger de la justice, des autorités françaises, de l’armée et même des présidents de la République, la vérité sur la disparition de Maurice Audin. En février dernier encore, elle écrivait au président de la République, François Hollande, pour demander justice pour son mari mais au-delà pour que l’État français condamne la pratique de la torture.

En 1957, nombre de journalistes, d’historiens, d’intellectuels sont, eux aussi, convaincus que Maurice Audin a été assassiné. Le jeune historien Pierre Vidal-Naquet, qui deviendra le grand spécialiste de la Grèce ancienne que l’on sait, mène une enquête minutieuse. Son livre, L’affaire Audin, qui défend la thèse de la mort de Maurice Audin sous la torture le 21 juin 1957, est publié en mai 1958.Dès le mois d’août 1957, des journaux comme Le Monde et L’Humanité publient des articles sur la disparition de Maurice Audin. Le premier comité Audin se constitue en novembre 1957.

Près de 60 ans plus tard, le sinistre général Aussaresses, coordonnateur des services de renseignement pendant la bataille d’Alger, avoue, dans un livre publié après son décès, au début de 2014, qu’il aurait organisé l’exécution de Maurice Audin sur ordre de son supérieur, le général Massu. La parole d’Aussaresses est certes douteuse. En 2000 répondant à une question d’un journaliste du Monde, il avouait avoir pratiqué la torture et les exécutions sommaires en Algérie « sans remords ni regrets ». Ses déclarations confirment cependant ce que beaucoup savaient déjà : Maurice Audin a bien été assassiné.

Malgré le maintien du secret-défense, malgré des archives militaires probablement nettoyées, la vérité fait lentement son chemin. Il n’y a aujourd’hui plus de place au doute : Maurice Audin, militant communiste et anticolonialiste a été enlevé, torturé et assassiné par le 10e régiment de parachutistes de l’armée française.
Pourquoi ce jeune homme lumineux, passionné de mathématiques, père de trois enfants en bas âge, confiant dans l’avenir, qui aimait l’Algérie et son peuple, a-t-il payé si cher ses engagements ?

Maurice Audin est né le 14 février 1932 à Béja, en Tunisie. Son père était gendarme, d’abord affecté en Tunisie, puis à Bayonne et Toulouse et enfin à Alger.
En 1948, Maurice Audin renonce à une carrière militaire pour se lancer dans les mathématiques. Il obtient sa licence en juin 1953 et son Diplôme d’études supérieures en juillet. En février 1953, il devient assistant à la faculté d’Alger. Parallèlement, il prépare une thèse de doctorat sur les « équations linéaires dans un espace vectoriel ». Doctorat qu’il obtiendra, in absentia, et on le sait aujourd’hui, post mortem, dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne, en décembre 1957, avec la mention « très honorable » et les félicitations du grand mathématicien, Laurent Schwartz.

Maurice Audin adhère au Parti communiste algérien en 1951 et rencontre régulièrement l’UGEMA (Union Générale des Etudiants Musulmans Algériens).
En janvier 1953, il épouse Josette, enseignante dans un lycée d’Alger, avec qui il aura trois enfants. Michèle, leur fille, devient elle aussi mathématicienne. Elle est professeur à l’Institut de recherche de mathématique avancée (IRMA) de Strasbourg. Le 1er janvier 2009, elle a refusé la Légion d’honneur. Le président de la République, Nicolas Sarkozy, n’avait toujours pas donné suite à la lettre de sa mère, expédiée deux ans plus tôt, à propos de la disparition de son père.

Maurice et Josette sont très jeunes en 1957. Ils font partie de ces Français pour lesquels l’indépendance de l’Algérie va de soi. Résolument anticolonialistes, ils soutiennent la lutte de libération nationale des Algériens. Ils sont peu nombreux dans ce cas et souvent montrés du doigt. La famille Audin participe à certaines opérations pour soutenir les Algériens. Ils hébergent notamment des dirigeants communistes de l’époque.

Pour l’armée, ils ne sont que des « traitres ». L’armée française pratique la torture à grande échelle avec l’accord tacite des gouvernements successifs. Entre janvier et septembre 1957, 3 024 personnes arrêtées par les parachutistes ont « disparu ». Parmi eux une grande majorité d’Algériens.

Pourtant la version officielle, pour ne pas dire le mensonge, de l’évasion supposée de Maurice Audin, soutenue depuis des décennies par les autorités françaises, dénie toute responsabilité de l’État-major militaire.

Depuis 57 ans, sa famille et notre pays subissent cet assassinat sans justice. La République doit reconnaître ce crime d’État. Elle doit faire toute la lumière sur les responsabilités des plus hautes autorités militaires et politiques qui ont couvert, à l’époque, cet assassinat et les atrocités, au premier rang desquelles la torture.
Josette et ses enfants ne renonceront jamais à leur quête de vérité. François Hollande a accédé à leur demande de consulter les archives, mais bien sûr ces documents ne contiennent rien d’intéressant. Ils reprennent la thèse officielle de l’évasion. A l’occasion de sa visite officielle en Algérie en décembre 2012, François Hollande a d’ailleurs rendu hommage à Maurice Audin sur la place d’Alger qui porte son nom. À l’occasion de la remise du prix de mathématiques Maurice Audin, en juin dernier – prix qui récompense tous les deux ans un mathématicien français et un mathématicien algérien –, il a envoyé un message dans lequel il reconnaissait : « Maurice Audin ne s’est pas évadé. Il mort durant sa détention ». Des premiers pas qui méritent d’être prolongés.
Dans sa dernière lettre au président de la République, en février dernier, Mme Audin demande qu’on « ne laisse pas perdurer la toujours officielle version de l’évasion ». Mais elle va plus loin que la recherche de la vérité sur l’assassinat de son mari. « La question qui reste, la seule qui importe, celle que je veux vous poser, c’est celle de la reconnaissance – ou non - par l’État de la responsabilité de l’État de l’époque dans la disparition, c’est-à-dire dans l’arrestation, la torture et l’exécution de Maurice Audin. Mais c’est aussi celle de la condamnation de la torture et des exécutions sommaires commandées par les gouvernements successifs de la France pendant la guerre d’Algérie. »

Pour elle, il est temps que la France regarde son passé en face si elle veut enfin tourner la page de la guerre d’Algérie. Je la soutiens totalement.

La reconnaissance de ce crime d’État, et de tous les autres, la condamnation de la torture et des violations des droits de l’Homme par l’armée française en Algérie, la compréhension de l’enchaînement des décisions qui ont permis que se déploient à Alger un tel arbitraire et une telle violence, le rôle des gouvernements présidés par le socialiste Guy Mollet puis par le radical-socialiste Maurice Bourgès-Maunoury doivent être dévoilés.

Nous devons la vérité à Josette Audin, à ses enfants qui l’attendent depuis 57ans.
Nous devons la vérité aux Algériens. Maurice Audin a payé de sa vie le combat pour leur indépendance.

Nous devons la vérité au peuple français. Aucune démocratie ne peut se satisfaire du silence sur de si sombres pages de son histoire.

Comme l’affirme la Ligue des droits de l’Homme : « Ce n’est pas seulement une question d’histoire, c’est un enjeu civique ». J’en suis convaincu ; c’est aussi dans ces pages blanches de notre histoire que se terrent les racines du racisme.

La France a su reconnaître ses torts en d’autres circonstances comme pour l’affaire Dreyfus, les fusillés pour l’exemple de 1914-18 ou la déportation des juifs pendant la seconde guerre mondiale, elle doit le faire pour la Guerre d’Algérie.

Bien sûr, ce n’est pas facile. Les blessures laissées par cette guerre sont profondes et vives encore. Lorsque je posais la question écrite pour la reconnaissance du crime d’État de Maurice Audin, à l’Assemblée nationale, en janvier dernier, un député UMP, dont je préfère taire le nom, lançait l’épithète « un traitre » pendant mon intervention.
Il ne faut rien lâcher. Il faut regarder l’histoire en face, avec lucidité. C’est pour moi un combat d’autant plus important que la guerre d’Algérie est à la base de mon engagement militant. L’anticolonialisme, l’internationalisme sont des valeurs que je me suis forgé, en grande partie, dans cette lutte pour l’indépendance de l’Algérie.
Robert Badinter suggérait en 2001 de mettre en place une « commission vérité » composée de personnalités indépendantes, de magistrats et d’historiens chargés « d’établir en toute clarté… la vérité sur les crimes commis par les forces de l’ordre pendant la guerre d’Algérie ». Je crois que cette solution est sage et pertinente.
Travailler lucidement, sans a priori, sur cette période de notre histoire est une des conditions pour fonder de nouvelles fraternités des deux côtés de la Méditerranée.
Tremblay en rendant hommage à Maurice Audin apporte sa pierre pour que toute la lumière soit faite sur cette guerre qui n’osait dire son nom.

Cette inauguration est un moment de forte émotion, mais aussi de valorisation de la force de l’engagement.

Maurice Audin était un militant dont les valeurs sont aujourd’hui reconnues comme pertinentes. Son engagement ne doit pas être oublié.

En donnant à cette belle esplanade le nom de Maurice Audin, je souhaite adresser un message d’espérance pour que la fraternité, l’amitié et la coopération à égalité rassemblent le peuple français et le peuple algérien.

Je terminerai en citant quelques vers du poète Jean Perret :
"Maurice Audin j’écris ton nom
Je porte ton nom dans ma colère
Sur mon coeur et ma raison
Ma femme porte ton nom
Mes enfants portent ton nom."

Cet extrait est tiré de la revue Action poétique qui, en 1961, consacrait un numéro spécial d’hommage à Maurice Audin.

Jean-Paul Guedj vous en lira d’autres dans quelques instants. Merci à lui. J’en profite pour remercier aussi le plasticien Ernest Pignon-Ernest qui nous a autorisés à utiliser une photo du portrait en pied de Maurice Audin. Ce portrait a été affiché dans les rues d’Alger en 2003 pour rendre hommage à Maurice Audin.

François ASENSI et Josette AUDIN viennent de dévoiler la plaque

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