Henri POUILLOT
Guerre d’Algérie, Colonialisme...
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Au sujet de la sortie du Film "Hors la Loi"

La nostalgie de l’Algérie Française veut interdire ce film

Article mis en ligne le 14 septembre 2010

par Henri POUILLOT
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Ce film sort le 22 septembre 2010 sur les écrans. Il a soulevé une sérieuse polémique à l’occasion de sa présentation au festival de Cannes, ce printemps.

Sur plusieurs sites internet, l’extrême droite et les nostalgiques de l’Algérie Française, annoncent qu’elles préparent un déchaînement de violences et en particulier pour la projection, en avant première, de ce film à Marseille le 20 septembre prochain, et ils appellent à une manifestation à cette occasion pour s’y opposer. On peut y lire par exemple : "Manifester n’est pas suffisant. Il faut investir la salle et au besoin la rendre inutilisable par la mise à feu de plusieurs engins fumigènes ; autre option, opérer un cordon solidement armé (manches de pioche etc.) pour empêcher les spectateurs d’entrer. Le recours à des organisations de jeunesse comme le FNJ ou les jeunes du bloc identitaire peut être d’une utilité précieuse. Si le film est projeté sans encombre, la manif n’aura servi qu’à se moquer d’une poignée de vieux nostalgiques, "partisans enragés" de l’Algérie française. Voici des circonstances où l’action violente est la seule qui soit payante. D’ailleurs nous le savons, les musulmans ne respectent que la force."

On peut s’interroger sur la partie de bluff dans ces menaces. Mais il y a une volonté de vouloir faire interdire la projection du film au prétexte de "trouble à l’ordre public".

La nostalgie du passé colonial est sans doute avivée par l’une des premières séquences du film qui montre comment les Algériens ont été spoliés de leur terre, de leur "gourbi" pour l’installation de colons.

Certes ce film prend des "libertés" avec la chronologie historique, celle que les historiens "spécialistes" de la colonisation et de la Guerre d’Algérie ont retenu pour cette période. Deux exemples sont effectivement frappants :
-  Le 8 mai 1945 : l’ensemble des massacres ne concerne pas que Sétif, mais aussi Guelma, Khératta… et ils se sont déroulés sur plusieurs semaines, et non pas une seule journée (1).
-  La façon dont la manifestation du 17 octobre 1961 s’est déroulée à Paris n’est pas relatée comme elle s’est effectivement passée…

On peut trouver encore quelques autres exemples, moins marquants. Mais quelle importance ? Ce film, comme le rappelle Rachid Bouchareb, ne se veut pas être un documentaire historique, mais une fiction, inspirée par des faits historiques réels. C’est une œuvre artistique, et à ce titre, en France, le droit à l’expression se doit de rester intangible. Ce film recèle d’énormes qualités.

Même si la chronologie n’est pas bien respectée, on ne peut pas nier, par exemple, la responsabilité de l’Etat français quand son armée distribue des armes à des milices sans aucun contrôle, et que cela permettra (comme à Guelma) une chasse au faciès organisée par les "Français" contre les "Musulmans".

Comment nier les violences orchestrées par la police parisienne dirigée par le préfet de police Maurice Papon ? Comment nier les pratiques cette administration pour laquelle le racisme était omniprésent. Toutes les scènes qui sont montées dans ce film correspondent à des réalités qui se sont produites à un moment ou à un autre. Ce sera donc une révélation pour une partie du public d’apprendre ainsi une partie de l’histoire récente souvent occultée.

Une autre qualité importante de ce film est d’avoir montré que, au sein d’une même famille, malgré le lien très fort qui unit tous ses membres, il n’y a pas spontanément les mêmes démarches. Les 3 frères, mêmes s’ils ont souffert de cette colonisation, l’expropriation des parents de leur terre, le massacre d’une partie de leur famille à Sétif,… ils ne deviennent pas tous naturellement des combattants du FLN. Tout comme les autres communautés "Pieds-Noirs", "Harkis",… il n’y a jamais eu un unanimisme mais bien au contraire une diversité trop souvent gommée. Un schématisme simplificateur, ultra réducteur a construit des stéréotypes absurdes :
-  Pieds-noirs tous pro-OAS,
-  Harkis tous pro-Algérie Française(2),
-  Algériens tous FLN…

Ce film rappelle avec force, la responsabilité de l’Etat Français pendant la colonisation, puis durant la conduite de ces guerres coloniales. Il nous rappelle en particulier que la France n’a toujours pas reconnu sa responsabilité dans les crimes d’état, les crimes contre l’humanité commis au nom de notre pays :
-  Pour Sétif, en Février 2005, l’ambassadeur de France en Algérie (déclaration confirmée ensuite sous les mêmes termes par Michel Barnier ministre, alors, des affaires étrangères) a entrepris un premier petit pas d’exploration des réactions : il a déclaré qu’il s’agissait "d’une tragédie inexcusable". Mais lorsque, à la tribune de l’université de Sétif j’ai déclaré : "Il faut dire que ce sont des crimes qu’ils sont condamnables et doivent être condamnés", à ce moment de mon intervention, j’ai du m’interrompre sous les applaudissements, l’amphithéâtre comble avec ses 1700 présents, s’est levé.
-  Les crimes d’Etat commis à Paris sous la responsabilité de Maurice Papon (17 octobre 1961 et 8 février 1962), qui n’aura jamais eu à y répondre, n’ont pas été reconnus comme tels, ni donc condamnés de façon officielle.
-  Les crimes engendrés par la colonisation, ne l’ont pas été non plus. Encore plus grave, la loi du 23 février 2005 voulait graver dans le marbre cette ineptie que le colonialisme avait été positif !!!
-  Les crimes contre l’humanité commis en particulier pendant la guerre d ’Algérie : tortures, viols, "crevettes Bigeard"(3), villages rasés au napalm(4)," corvées de bois"(5), et tant d’autres…

C’est cette réalité là qui unit la droite UMP et le FN ainsi que les diverses composantes de l’extrême droite, pour s’opposer à la projection du film (comme ils l’avaient fait à Cannes lors du festival) et pour tenter que des débats ne mettent à jour cette responsabilité française.

Il est probable que la majorité actuelle va tenter de surfer sur cette question pour tenter une nouvelle diversion médiatique et que, par exemple, les problèmes de la retraite soient un peu occultés.

Pour toutes ces raisons ce film vaut un soutien pour avoir eu le courage d’oser poser des problèmes essentiels de notre société : il ne suffit pas de dire et répéter que la France est le pays des droits de l’homme pour que ce soit une réalité. Les exemples récents sont là pour le confirmer ou le démentir : comme par exemple les Roms, les immigrés…

(1) Le 8 mai 2005, j’étais invité à un colloque qui se déroulait à l’université de Sétif pour la commémoration du 60ème anniversaire de ces massacres. J’ai passé 4 jours en compagnie de plusieurs de ces manifestants du 8 mai 1945 qui nous ont expliqué ce qu’ils avaient vécu alors. Dans le récit de ce film, j’y retrouve l’essentiel de ces témoignages, et même si cette chronologie n’y est pas respectée, les violences, les exactions reflètent bien les descriptions que nous en avons eues. Voir mon site http://www.henri-pouillot.fr/spip.php?rubrique51
(2) "Collabos" avait osé dire Bouteflika le 16 juin 2000
(3) Les crevettes Bigeard ? Au départ, il s’agissait d’Algériens "largués d’un avion ou d’un hélicoptère en pleine mer Méditerranée. Hélas (?) quelques suppliciés sont parvenus à regagner la côte à la nage. Alors le colonel Bigeard (devenu ensuite Général) a perfectionné le système. Par la suite ces Algériens étaient jetés à la mer, mais avec les pieds scellés dans un bloc de béton pour qu’ils ne puissent pas revenir à la nage : d’où cette appellation de cet "inventeur". C’est cette technique qui a été exportée par les Aussaresses et consorts, en particulier en Argentine, pour faire disparaître les 30.000 personnes que venaient pleurer les femmes sur la place de Mai
(4) Ce sont des centaines de villages ou hameaux qui ont été, (comme Oradour sur Glane pendant le seconde Guerre Mondiale par les allemands) détruits par des bombes au napalm.
(5) Les Corvées de bois étaient des exécutions sommaires déguisées en pseudos tentatives d’évasions, dites, lors d’une corvée de bois.

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